Le vieillissement peut être défini comme une perte de fonction des cellules et des organes qui remplissent peu à peu moins bien leur rôle. Nombre d’hypothèses ont été avancées pour l’expliquer : accumulation de mutations dans l’ADN ; raccourcissement des extrémités des chromosomes, les télomères, au fil des divisions cellulaires ; stress lié aux molécules oxygénées dans les cellules ; moindre capacité des cellules souches à se renouveler ; multiplication des cellules entrées en sénescence, parfois qualifiées de « zombies »… Mais il reste souvent difficile de savoir si, au-delà des corrélations, on peut parler de causalités.
Dans un article publié dans la revue Cell datée du 19 janvier, David Sinclair (école de médecine de Harvard) et ses collègues sautent le pas : « La perte d’information épigénétique est une cause du vieillissement chez les mammifères », écrivent-ils en titre de leur étude. Pour comprendre ce qu’ils veulent dire par là, il faut d’abord définir l’épigénétique, un terme piégeux qui recouvre des réalités différentes selon les courants de recherche. Historiquement, il désigne l’influence de l’environnement au sens large sur l’expression des gènes, l’acquis face à l’inné, qui peut résonner sur plusieurs générations. Il s’agit maintenant des mécanismes qui font qu’un même patrimoine génétique, présent dans chacune de nos cellules, s’exprime différemment au fil de notre développement, dans les cellules spécialisées de nos organes et tissus.
Dans l’esprit de David Sinclair, l’épigénétique se surajoute au code génétique, et désigne une sorte de « logiciel » écrit dans la chromatine, cette structure complexe associant des protéines et de l’ARN à l’ADN de nos chromosomes, qui est impliquée dans l’expression des gènes et leur réparation. Partant du constat que certaines cellules sénescentes ne présentent pas d’accumulation de mutations dans l’ADN et que, à l’inverse, de forts taux de mutation ne se traduisent pas forcément par un vieillissement prématuré, il creuse depuis les années 1990 la piste « épigénétique », d’abord explorée chez la levure.
Désorganisation de la chromatine
Cette fois, c’est sur la souris qu’il appuie sa démonstration. Avec ses collègues, il a créé une lignée de souris chez laquelle pouvait être induit pendant une période donnée un faible nombre de cassures dans la double hélice de leur ADN. Ces cassures activent transitoirement le système de réparation de l’ADN, lequel a apparemment bien fait son travail puisque l’analyse des souris a ensuite montré que leur génome n’en avait pas conservé trace des dommages. En revanche, dans les mois suivants, ces rongeurs présentaient un vieillissement accéléré par rapport à un groupe témoin : grisonnement, perte de tonicité musculaire et de mémoire, etc. Les chercheurs américains font l’hypothèse que le prix à payer de l’activation du système de réparation de l’ADN est une désorganisation de la chromatine, à laquelle ils relient une perte de l’identité cellulaire. Comme si la différenciation des tissus se trouvait érodée, alors que le code génétique est intact.
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