Nous sommes dans le centre de Tours, au sein d’un vaste quadrilatère de 6,5 hectares cerné d’immeubles et de maisons, où s’activent une vingtaine d’archéologues sous le soleil déjà musclé de juin. De 1913 à 2013, l’endroit était aux mains des militaires puisque s’y élevaient les casernes Beaumont. Mais d’où venait ce nom, comment a-t-on pu voir ici un beau mont alors que le site, aujourd’hui décapé en attendant la construction d’un nouveau quartier, semble plat comme la main ?
Pour répondre à la question, il faut retourner loin en arrière, remonter au haut Moyen Age et faire preuve d’imagination en suivant les paroles de Philippe Blanchard, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), responsable de la fouille menée en collaboration avec le service archéologique départemental d’Indre-et-Loire : « On était alors dans un environnement rural, assez loin des murailles médiévales de la ville de Tours. C’étaient des prairies, des pâtures, une zone humide entre Loire et Cher traversée par de nombreux cours d’eau. Il y avait là un petit promontoire, une légère différence d’altitude de 1 mètre à 1,50 mètre, et les gens s’y sont installés pour ne pas avoir les pieds dans l’eau. » En 845 est mentionné pour la première fois le site de Belmons, qui deviendra Beaumont.
Néanmoins, si Beaumont entre dans l’histoire et que s’y mobilise une troupe d’archéologues depuis septembre 2022, ce n’est ni pour son hameau médiéval ni pour ses casernes, mais parce que, pendant près de huit siècles, y a fleuri la plus grande abbaye de femmes de Touraine. De cette abbaye, fondée en 1002 et vendue, après la Révolution, à un carrier qui va la démolir intégralement pour récupérer ses matériaux, ne demeure que ce que le sol cache. Une aubaine pour les experts de l’enfoui, s’enthousiasme Philippe Blanchard : « Le site est exceptionnel parce que c’est la première fois, à ma connaissance, que des archéologues interviennent sur la totalité d’une abbaye en Europe. »
Une ancienne glacière
Les chercheurs ont mis au jour l’intégralité du plan de cette abbaye de bénédictines, notamment son église, son cloître, le réfectoire, les cuisines, la salle capitulaire, où se réunissait la communauté… D’autres structures sont apparues, dont la fonction exacte n’est pas encore bien déterminée. Ici, Philippe Blanchard verrait bien la chapelle Notre-Dame-des-Miracles, qui préexistait à l’abbaye. Là, ce pourrait être le logis médiéval de l’abbesse. Plus loin, curiosité, une ancienne glacière, structure enterrée en pierre : « L’hiver, on récupérait de la glace sur la Loire, le Cher ou les étangs, explique l’archéologue. On la stockait ici, et la masse de glace pouvait durer jusqu’à l’été, où l’on se faisait des sorbets. »
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