C’est une partition à six mains que composent les neurologues Bernard Lechevalier, Bernard Mercier et Fausto Viader avec cette biographie savante de Maurice Ravel, où musique et médecine s’entremêlent. Retraçant l’évolution d’une maladie neurodégénérative que l’on ne savait pas diagnostiquer dans les années 1930, ces experts ont fait le pari d’examiner le cas « d’un malade qui n’est plus là ». Grâce au décryptage d’archives, de rapports, de lettres, de témoignages, le lecteur assiste à l’apparition des symptômes qui briseront la vie et la carrière du musicien, devenu une star internationale dès la fin de la première guerre mondiale.
En 1932, à 57 ans, Ravel, au faîte de sa gloire, mais fatigué et déprimé, se repose à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques). Quelques mois auparavant, il a cessé de jouer du piano en concert. Les auteurs relèvent les faits marquants de cet été-là : alors qu’il veut montrer à une amie comment faire des ricochets, il lui lance le caillou au visage ; excellent nageur, Ravel se retrouve obligé de faire la planche en attendant des secours, car il ne sait plus nager. Cette « apraxie de la nage est identifiée comme le symptôme révélateur », notent les neurologues. L’épisode du caillou traduirait une perte de contrôle du membre supérieur appelé « phénomène de la main étrangère »…
Ainsi, au fil des pages se dessine la personnalité brillante d’abord, puis complexe et douloureuse du compositeur de Boléro – une œuvre « vide de musique », disait-il. Le lecteur perçoit ses difficultés d’écriture du début jusqu’à sa lente plongée dans la solitude. « Il avait l’apparence d’un être qui, d’un instant à l’autre, risque de se dissoudre », témoignera l’écrivaine Colette.
La première partie du livre s’attache à la psychologie d’un musicien génial, raffiné, proche d’une mère dont la mort le précipitera dans la dépression, et soumis aux affres d’un mal incompréhensible. La seconde partie traite de la maladie elle-même : observation médicale, diagnostics, portraits de médecins, jusqu’à l’intervention neurochirurgicale fatale. Surtout, elle analyse les « hypothèses que l’on est en droit de formuler aujourd’hui sur l’étiologie de cette affection ».
Aphasie, apraxie et agraphie
Le lecteur suit, pas à pas, les investigations menées par les différents spécialistes à partir de 1935. Lorsque le compositeur consulte le professeur Théophile Alajouanine, un neurologue réputé, ce dernier étudie la dégradation de ses capacités musicales et pose son diagnostic : maladie de Pick – une forme de syndrome démentiel –, dont « la cause restée imprécise se situe, du fait d’une dilatation ventriculaire bilatérale, dans le cadre des atrophies cérébrales ». Une rééducation est tentée. En vain.
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