La présence d’Homo sapiens dans le Sud-Est asiatique recule à nouveau dans le temps, avec la découverte au Laos d’un fragment d’os frontal daté d’au moins 68 000 ans, et d’un tibia âgé d’environ 77 000 ans, et potentiellement de plus de 86 000 ans, si l’on considère des datations de dents de bovins réalisées dans les mêmes strates géologiques. Ils sont présentés le 13 juin dans la revue Nature Communications par une équipe internationale dirigée par Fabrice Demeter (Université de Copenhague, Musée de l’homme, Paris).
Ces fossiles, trouvés à Tam Pà Ling, « la grotte des singes », s’ajoutent à une série d’ossements et de dents d’Homo sapiens trouvés sur des sites chinois et datés de plus de 100 000 ans – même si certaines datations sont discutées. Ils indiquent que notre espèce a pu s’aventurer plusieurs fois très loin vers l’est, hors de son berceau africain, bien avant la sortie d’Afrique qui allait lui permettre de conquérir pour de bon la planète.
« L’ensemble de ces découvertes suggère un schéma de dispersion plus complexe, difficile à réconcilier avec les données génétiques, à moins que ces sorties précoces ne représentent des colonisations infructueuses », écrivent Fabrice Demeter et ses collègues. En effet, les analyses génétiques laissent à penser que l’ensemble de la population humaine actuelle hors d’Afrique descend d’un groupe humain qui ne serait sorti d’Afrique qu’il y a environ 60 000 ans – et qui a pu s’hybrider avec différents cousins chemin faisant.
Un « piège à fossiles idéal »
Fabrice Demeter participe à des expéditions au Laos depuis une vingtaine d’années. La grotte de Tam Pà Ling, difficilement accessible, a été identifiée en 2009 par le géologue de son équipe. Elle présente une vaste entrée et un sol en pente, ce qui, dans cette région inondée par les moussons, constitue un « piège à fossiles idéal », décrit le chercheur : pas moins de 7 mètres de sédiments s’y sont accumulés au cours de 90 000 dernières années. En 2010, un premier fragment de crâne y a été découvert, et au fil des années, les paléontologues, en creusant toujours plus profond, ont continué à remonter le temps, mettant au jour des ossements humains s’étageant entre 46 000 et 70 000 ans – et donc désormais au-delà de 80 000 ans.
Les fouilles ont désormais atteint le plancher de la grotte, c’est-à-dire le point le plus ancien sur cette tranchée, mais les paléontologues prévoient d’étendre la fouille sur le plan horizontal. « Nous en avons encore pour quinze à vingt ans », estime Fabrice Demeter, qui décrit comment certains villageois Hmong ont été formés et sont désormais des « fouilleurs experts ». L’argile très humide ne peut être tamisée, il faut donc la malaxer à la main pour en extraire fossiles et artefacts : « On dépiaute l’argile, il n’y a pas d’autres moyens. »
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