La glace de mer, faite d’eau salée à la surface de l’océan, forme la banquise. En Arctique, l’océan d’une superficie de 14 millions de km² est recouverte de glace la plus grande partie de l’année. L’absence totale de glace, à laquelle fait référence l’article, correspond à une surface estivale de moins de 1 million de km². Ces simulations, réalisées sur des données d’observation de 1979 à 2019, se basent sur le mois de septembre.
“La glace en Arctique suit un cycle saisonnier. Elle est à son plus bas en septembre et à son maximum en mars. L’absence totale de glace aura donc lieu en septembre et va s’étendre progressivement même aux mois les plus froids au fur et à mesure que le réchauffement climatique se poursuit“, explique à Sciences et Avenir le professeur Seung-Ki Min, climatologue dans les universités sud-coréennes de Pohang et Yonsei, et co-auteur de l’article. La glace ne va donc pas fondre d’un coup. Elle réapparaîtra un peu l’hiver avant de ne plus exister du tout.
Peut-on encore éviter cette fonte totale ?
Peu importe le scénario étudié, l’Arctique perdra sa glace de mer selon l’étude, même en cas de faibles émissions. “L’absence de glace en septembre pourrait encore être évitée si nous atteignions un objectif de 1,5°C de réchauffement en restant sur la voie du zéro émissions nettes d’ici à 2050. Nous pourrions aussi atteindre cet objectif en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre [un des facteurs à l’origine du réchauffement climatique]”, poursuit le Pr Seung-Ki Min.
Toutefois, la communauté scientifique ne croit plus en un retour en arrière. “Cet article est terrible. Je n’ai jamais vu une étude aussi cataclysmique au sujet de notre climat. On va perdre la glace de mer l’été, ça c’est sûr“, commente auprès de Sciences et Avenir le Dr Heïdi Sevestre, glaciologue et autrice de Sentinelles du climat. Les 1,5 degrés de réchauffement seront déjà atteints dans 10 ans, selon une étude publiée dans Nature au mois de mars 2023. Le monde marche “les yeux fermés vers la catastrophe climatique”, avait alors alerté le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. “En revanche, il faut tout faire pour essayer de garder de la glace de mer l’hiver. Ce signal d’alarme doit nous motiver à réagir“, espère la glaciologue.
Quelles vont être les conséquences ?
La fonte de la glace ne sera pas sans conséquences pour le reste de la planète. Partout, les océans vont monter jusqu’à sept mètres. “La fonte de la glace de mer va entraîner des températures plus élevées en arctique. Ce réchauffement va toucher le permafrost, qui va dégeler. Or, lorsqu’il fond, le permafrost libère des gaz à effets de serre dans l’atmosphère à un tel degré qu’il contribue grandement au réchauffement climatique. En parallèle, la fonte de l’Arctique va entraîner la fonte de la couche de glace au Groenland“, explique Seung-Ki Min.
C’est à cause de toute cette eau fondue que les niveaux des mers et des océans va monter jusqu’à sept mètres, lorsque tout le Groenland aura fondu. “La banquise agit comme le climatiseur de la planète. Sa couleur blanche renvoie le soleil dans l’espace. En revanche, sans banquise, l’océan foncé va absorber la chaleur“, explique le Dr Heïdi Sevestre. “Sur Terre aujourd’hui, 600 millions de personnes vivent entre 0 et 10 mètres d’altitude. Ce sont elles qui seront les premières concernées par la montée des eaux. Mais tout le monde va en souffrir : les parcelles agricoles à proximité des littoraux, toutes les villes peuplées au bord des océans et des mers, les ports…”.
Sommes-nous responsables de la fonte des glaces ?
Oui. Le rapport est formel au sujet de l’origine de la fonte des glaces : elle est due à l’action de l’humain sur la planète durant les quarante dernières années, qui a augmenté les gaz à effets de serre. “C’est indiscutable aujourd’hui. Nous sommes bien à l’origine du réchauffement climatique. Mais au fond, c’est une chance de savoir que le problème est entre nos mains et que nous pouvons agir sur le climat. A ce stade, il n’y a plus de petite ou de grande victoire. Il faut agir pour notre survie“, abonde Heïdi Sevestre.
Comment le Giec a-t-il pu “rater” ce scénario concernant ?
“Le Giec utilisait jusque-là un modèle climatique qu’on appelle CMIP6, dont le but est de voir ce qui risque de se passer sur Terre. On sait que ce modèle a sous-estimé le réchauffement de l’arctique et la perte de la banquise, cela a été reconnu publiquement par le Giec“, explique Heidi Sevestre. C’est pourquoi Seung-Ki Min et son équipe ont corrigé ce modèle en l’améliorant et en l’adaptant aux changements déjà constatés en Arctique.
Est-ce un point de non-retour en matière de réchauffement climatique ?
Oui. Un point de non-retour signifie qu’il sera impossible de se remettre de cet événement avant un long moment. L’océan Arctique restera alors sans glace longtemps, à moins que la température globale de la Terre ne baisse. Or, ce sont les gaz à effets de serre qui modifient la température globale. Tant qu’ils ne baissent pas, la Terre ne se rafraîchira pas et la glace ne pourra pas réapparaître en Arctique.
“Ce sera le premier composant majeur de notre système climatique que nous perdons à cause de nos émissions de gaz à effet de serre“, souligne Dirk Notz, de l’université de Hambourg, autre co-auteur de l’étude à l’AFP. “Les scientifiques ont alerté sur cette disparition pendant des décennies et c’est triste de voir que ces mises en garde n’ont pour l’essentiel pas été écoutées.” Il espère maintenant que les décideurs politiques prêteront attention aux conclusions des chercheurs “pour qu’on puisse au moins protéger les autres composants de notre système climatique, en limitant le réchauffement futur autant que possible.”