Lors du sommeil lent, le cerveau humain est métaboliquement peu actif et élimine des toxines issues de l’activité neuronale et accumulées durant l’éveil, en évacuant le liquide céphalo-rachidien. Ce processus pourrait permettre d’expulser des protéines notamment impliquées dans la maladie d’Alzheimer. Durant le sommeil dit paradoxal, le cerveau est très actif et réalise des rêves particulièrement poignants.
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A quel point les oiseaux sont-ils soumis aux mêmes processus ? Comme Sciences et Avenir l’expliquait dans un précédent article, ces deux états de sommeil sont retrouvés chez les mammifères terrestres et les oiseaux. L’équipe de Paul-Antoine Libourel du Centre de recherche en neurosciences de Lyon a également identifié cette dichotomie du sommeil chez un lézard.
Pour affiner nos connaissances sur le sommeil des oiseaux, une équipe de recherche allemande, épaulée par Paul-Antoine Libourel, a observé comment le cerveau de pigeons s’activait durant leur sommeil et le trajet du liquide céphalo-rachidien grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). Les scientifiques ont également observé les volatiles à l’aide d’une caméra infrarouge. “Nous avons pu observer si un ou les deux yeux étaient ouverts ou fermés, et suivre les mouvements oculaires et les changements de taille de la pupille à travers les paupières transparentes des pigeons pendant le sommeil“, explique dans un communiqué Mehdi Behroozi, co-auteur d’une étude publiée le 5 juin 2023 dans Nature Communications. De cette façon, ils ont enregistré toutes les informations qui leur étaient nécessaires, auprès de 15 pigeons entraînés à s’endormir naturellement dans les conditions de l’expérience.
“Ils pourraient être en train de voler dans leurs rêves“
Les résultats obtenus révèlent que les pigeons rêvent sûrement aussi, et que ce qu’ils voient peut sans doute affecter leurs émotions. Les chercheurs ont même une petite idée de la teneur de leurs rêves… “Pendant le sommeil paradoxal, nous avons observé une forte activité dans les régions cérébrales responsables du traitement visuel, y compris dans les zones qui analysent le mouvement de l’environnement d’un pigeon pendant le vol“, précise le Dr Behroozi. Des zones cérébrales liées aux ailes ont aussi été activées. Les pigeons ne parlant pas, difficile d’être sûr qu’ils rêvent bel et bien d’eux, planant dans le ciel. Mais les indices permettent tout de même de formuler cette hypothèse. “Sur la base de ces observations, nous pensons que les oiseaux, tout comme les humains, rêvent pendant le sommeil paradoxal, et ils pourraient être en train de voler dans leurs rêves“, suppose le chercheur.
En outre, ils sembleraient que ces oiseaux vivent intensément leurs songes. En effet, une région cérébrale nommée amygdale s’active pendant leur sommeil. Cette structure est connue chez l’humain pour son implication dans la peur ou les syndromes post-traumatiques. Elle est également liée à la mémoire et à la prise de décision. En outre, les pupilles des pigeons se rétrécissaient rapidement lors du sommeil paradoxal, un phénomène observé durant les parades amoureuses ou les conflits. Tout cela indique que les rêves des pigeons seraient donc teintés d’émotions.
Un cerveau qui se “nettoie” différemment
Est-ce que, comme le nôtre, le cerveau des pigeons se purge lorsqu’ils dorment ? Les résultats obtenus se sont révélés étonnants. Comme chez l’humain, le flux de liquide céphalo-rachidien varie dans le cerveau durant le sommeil lent, évoquant une élimination des toxines. Mais il chute aussi brusquement lors du sommeil paradoxal, phénomène qui ne se retrouve chez aucun animal.
Les chercheurs évoquent deux explications possibles. “Nous pensons que l’afflux accru de sang dans le cerveau pendant le sommeil paradoxal, qui soutient l’activité cérébrale élevée, pourrait empêcher le liquide céphalo-rachidien de se déplacer“, suppose tout d’abord Niels Rattenborg, co-auteur de l’étude. Le sommeil paradoxal et les rêves se réaliseraient alors au détriment de l’élimination des déchets cérébraux.
Seconde possibilité, le sommeil paradoxal aiderait aussi à nettoyer le cerveau des oiseaux, justement grâce à cet afflux de sang, qui augmente le diamètre des vaisseaux et pourrait finalement forcer en parallèle l’écoulement du liquide céphalo-rachidien remplit de toxines. “Par conséquent, en s’engageant dans des centaines de courts épisodes de sommeil paradoxal, plutôt que des épisodes moins nombreux et plus longs, comme chez les mammifères, les oiseaux pourraient maximiser l’élimination des déchets“, souligne l’étude. L’hypothèse est d’autant plus intéressante que les oiseaux possèdent une densité de neurones proportionnellement plus importante que celle des mammifères. Un nettoyage plus efficace ou plus fréquent serait donc dans leur intérêt.