La société des fourmis ne fait rien à la légère. Ni se jeter sur la première source alimentaire venue, ni décider d’un lieu de villégiature. Mais la fourmi n’est pas prêteuse, c’est bien connu. Aussi elle n’abandonne gîte et couvert qu’en cas de grand danger. L’une d’entre elles émet alors un signal d’alarme et les autres lèvent instantanément le camp. Depuis soixante-cinq ans, des scientifiques de toutes obédiences se sont penchés sur le phénomène. En commençant par montrer la nature de ce signal : une phéromone, autrement dit un composé chimique odorant produit par l’animal pour communiquer. Dans la foulée, les myrmécologues ont mis en évidence le rôle essentiel de l’odorat chez ces insectes sociaux.
Mais comment ces signaux sont-ils traités dans le système nerveux de l’animal ? L’équipe de Daniel Kronauer, à l’université Rockefeller de New York, a dévoilé, mercredi 14 juin, dans la revue Cell, ce qui se passe non pas dans le nez, mais dans les antennes de ces insectes, là où se situent leurs bulbes olfactifs. Pour cela, ils ont commencé par réaliser une prouesse scientifique : la création de la première lignée de fourmis transgéniques. Il faut dire que la fourmi pilleuse Ooceraea biroi présente la particularité de se reproduire par parthénogenèse. Pas besoin, donc, de manipuler le génome de reines, en espérant une éventuelle transmission à la descendance, ce que personne ne sait faire. Il « suffit » d’intervenir sur celui d’une ouvrière – ou plutôt de 4 000 d’entre elles –, pour construire une lignée de clones.
En l’occurrence, Taylor Hart, la première signataire de l’article, a modifié le code génétique de l’insecte de façon à introduire une protéine dans les neurones olfactifs de la fourmi. Celle-ci devient fluorescente au contact du calcium. Comme le niveau de calcium bondit lorsque les neurones sont actifs, l’opération permet de suivre l’activité des lobes antennaires. D’autant que les chercheurs ont profité de microscopes à deux photons, qui permettent une observation en 3D des appendices. « Jusqu’ici, on regardait sous le réverbère, nous avons pu regarder l’ensemble du paysage », résume Daniel Kronauer.
Mobilisation de glomérules
Ce que les chercheurs new-yorkais ont découvert les a « beaucoup surpris ». On le savait, le système olfactif de la fourmi est hyperdéveloppé, avec pas moins de 500 groupes de synapses – nommés glomérules – associés à autant de récepteurs odorants (contre 50 pour les mouches, 120 pour les abeilles). Des recherches précédentes, conduites sur d’autres fourmis avec des techniques moins précises et sur des parties plus réduites du système nerveux, avaient conclu que l’animal mobilisait de nombreux glomérules pour traiter les signaux d’alarme. Or, en étudiant le traitement par les antennes de quatre phéromones d’alarme, ils ont constaté qu’à chaque fois, moins de six glomérules étaient mobilisés. Très peu, donc. Mieux : l’un d’eux se montre actif avec les trois phéromones provoquant une réaction de panique des fourmis et reste inactif face au quatrième signal d’alarme, qui entraîne une réaction plus mesurée des insectes. Un « hub sensoriel » spécialisé, concluent les auteurs de l’article.
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