Le ver microscopique Caenorhabditis elegans sait comment économiser son énergie. Pour parcourir de longues distances, il n’hésite pas à faire de l’auto-stop auprès des insectes pollinisateurs. Et pour monter dessus, là encore il s’économise : il utilise le champ électrique qui lui permet de faire un bond de quelques millimètres, sans effort.
Des vers qui sautent dans des boîtes de Petri
Des chercheurs japonais se sont aperçus que des larves de ver se retrouvaient bien souvent sur le couvercle de leur boîte de Petri tandis qu’elles étaient normalement disposées à l’opposé, sur un milieu de croissance. Ils ont donc installé une caméra afin de filmer le déplacement. Et là surprise : les vers ne voyageaient pas le long des parois mais apparaissaient soudainement, en moins de 0,1 seconde, sur le couvercle ! Et tandis qu’un jeune ver se posait sur le dessus de la boîte, un ver disparaissait du milieu de culture inférieur. Le même, sans aucun doute. Les chercheurs ont alors multiplié les expériences pour mieux comprendre ce déplacement inattendu.
Rapidement, ils ont suspecté l’action d’un champ électrique. Un corps chargé électriquement peut agir sur les corps environnants, ceux qui se trouvent dans “son” champ électrique. Or, “les pollinisateurs, tels que les insectes et les colibris, sont connus pour être chargés électriquement“, explique dans un communiqué Takuma Sugi, professeur de biophysique à l’Université d’Hiroshima. Et les boîtes de Petri en polyéthylène aussi.
Une colonne de 80 vers transférés dans un champ électrique
Dans une étude, dont les résultats ont été publiés le 21 juin 2023 dans la revue Current Biology, des larves de C. elegans ont été placées dans une électrode de verre. Les scientifiques ont remarqué que les nématodes ne sautaient vers l’autre électrode (à une vitesse moyenne de 0,86 mètre par seconde) que lorsqu’une charge électrique était appliquée. La vitesse augmentait avec l’intensité du champ électrique. En outre, “les vers se sont envolés indépendamment de l’application d’un champ électrique positif ou négatif“, rapporte la publication.
Les chercheurs ont ensuite frotté du pollen sur des bourdons anesthésiés afin qu’ils exposent une charge électrique naturelle. Comme il est possible de le voir dans la vidéo ci-dessous, une fois proche de l’insecte, les vers se relèvent, se redressant sur leur queue, puis bondissent sur lui.
CREDIT : Current Biology Chiba et al.
Le “transfert multi-vers”
“Certains vers se sont même empilés les uns sur les autres et ont sauté en une seule colonne, transférant simultanément 80 vers à travers l’espace” entre eux et l’insecte, souligne le communiqué. Les colonnes peuvent même comprendre plus de 100 vers. Dans ce cas, un seul ver décolle à travers le champ électrique, emmenant avec lui ses congénères. Les chercheurs ont baptisé ce phénomène un “transfert multi-vers”.
Un groupe de vers C. elegans saute grâce à un champ électrique. CREDIT : Current Biology Chiba et al.
Ce n’est pas un hasard si ces vers adoptent cette position pour décoller. “Les vers se tiennent sur leur queue pour réduire l’énergie de surface entre leur corps et le substrat, ce qui leur permet de se fixer plus facilement à d’autres objets qui passent“, explique le Pr Sugi. En plus des bourdons couverts de pollen, ces vers sont connus pour faire de l’auto-stop sur d’autres insectes. Jusqu’à maintenant, la communauté scientifique comprenait mal comment ils réussissaient à atteindre leur “taxi volant”. Justement, les insectes, notamment les mouches, en battant des ailes, accumulent une charge électrique, formant alors un champ que peuvent utiliser les vers.
L’étude constate aussi que d’autres espèces proches de C. elegans réalisent ces sauts et que des vers mutants, incapables de sentir les champs électriques, sautent moins que les autres. Ce comportement dépend donc de la génétique de ces nématodes. De prochaines études devront trouver les gènes impliqués dans cette capacité.