Les médecins ont beau en discuter entre eux, impossible de résoudre le mystère de ces seniors dont la santé se dégrade. Jusqu’à ce qu’un soir, à l’automne 2020, une équipe américaine mette un nom sur le mal dont souffrent ces patients : le syndrome de Vexas. “Quel soulagement. Il s’agissait là d’une des plus grandes découvertes dans notre domaine. Dès le lendemain, nous avons passé en revue nos patients pour lister ceux qui pourraient correspondre. Dans le cadre du Plan national maladies rares, nous suivons nos patients atypiques de très près. Nous avons vite pu identifier ceux qui étaient potentiellement atteints et commencer à les tester sur le plan génétique dans les jours qui ont suivi “, se souvient Sophie Georgin-Lavialle.
Très vite, les réseaux s’activent. La filière de santé des maladies rares immuno-inflammatoires FAI2 R s’organise en France et la plus grosse cohorte mondiale, composée de 310 patients à ce jour, se met sur pied en quelques mois. S’il a fallu autant de temps pour identifier ce syndrome, c’est parce qu’il se trouve au carrefour de plusieurs spécialités médicales : les maladies du sang, de la peau, les rhumatismes et les problèmes immunitaires. Surtout, il a eu la malchance de côtoyer une maladie bien plus en vogue en 2020, le Covid 19. “Une personne sur deux atteintes de Vexas environ présente des lésions aux poumons. Or, avec l’apparition du Covid-19, on pensait que ces lésions provenaient du virus, car cela donne presque la même chose qu’un syndrome de Vexas. On leur fournissait un traitement corticoïde. Idem pour les phlébologues qui retrouvaient des thromboses et des anémies “, se remémore Sophie Georgin-Lavialle.
L’article publié dans le New England Journal of Medicine a enfin permis d’en dresser un portrait-robot. Cette maladie auto-inflammatoire déclenche une forte inflammation dans le sang chez les hommes âgés. S’ensuivent des épisodes de fièvre, des douleurs aux articulations semblables aux rhumatismes, des lésions cutanées en forme de papules, une perte de poids et une grande fatigue. Certains patients présentent aussi une chondrite, une inflammation des cartilages aux oreilles et au nez.
Surtout, l’équipe de recherche de David Beck, généticien au centre médical NYU Langone Health de New York (États-Unis), a réussi à identifier la cause de la maladie : une mutation génétique. Il s’est pour cela penché sur le génome de 1.477 patients – adressés dans son centre pour cause de fièvre récurrente et d’inflammation systémique sans qu’aucune cause n’ait été trouvée. La même mutation sur le gène UBA1 a alors été retrouvée chez 25 hommes. Le syndrome de Vexas venait d’être identifié.
Mais depuis quand Vexas sévissait-il silencieusement chez les hommes de plus de 50 ans ? Impossible de le savoir. “Le syndrome de Vexas existe probablement depuis longtemps “, avance David Beck. Mais il ne s’est pas transmis d’une génération à l’autre par la génétique. “Il s’agit de mutations acquises. Elles apparaissent après la naissance, uniquement dans certaines cellules ou dans certains tissus, parfois dans le cadre normal du vieillissement. C’est totalement différent de mutations génétiques qu’on hérite de ses parents, qui sont présentes dans chacune des cellules du corps et qui peuvent être transmises aux générations futures “, détaille-t-il. Les mutations UBA1 se trouvent sur le chromosome X, ce qui explique pourquoi ce sont essentiellement des hommes qui sont touchés. Si les mutations surviennent sur leur X, la maladie se déclare. Chez les femmes, la maladie se manifeste dans les cas rares de monosomie X, lorsqu’elles ne possèdent qu’un seul chromosome X.
Un énorme travail pour faire connaître cette maladie
Après tant d’années à tâtonner, l’identification de la mutation sur UBA1 permet désormais de savoir s’il s’agit d’un Vexas ou non. Et de chiffrer l’incidence du syndrome à travers la population. Nouveau coup de tonnerre : sur les dossiers de 163.096 patients analysés par David Beck, 13.200 hommes et 2300 femmes de plus de 50 ans présentaient cette mutation. Avec une fréquence de un homme sur 4000 de plus de 50 ans, le syndrome de Vexas est plus répandu que certaines maladies rhumatologiques telles que la polychondrite atrophiante ou le syndrome de Muckle-Wells.
Chez les femmes, l’incidence est plus rare : une pour 26.000. Pour réaliser ces estimations, l’équipe américaine a travaillé sur une base de données de Pennsylvanie. La cohorte a beau être très circonscrite sur le plan géographique, ces chiffres sont transposables au reste du monde. Des milliers de patients atteints du syndrome de Vexas s’ignorent donc. En France, la cohorte ne compte “que” 310 personnes, dont l’âge médian est de 73 ans. Le plus jeune a 46 ans. Et seules 5 % sont des femmes. “Ce sont essentiellement des patients retraités qui ont, globalement, plus de 65 ans, qui ont tardé à s’occuper d’eux et dont les symptômes ont eu le temps de se développer “, précise Sophie Georgin-Lavialle.
De là à déclarer que l’errance diagnostique est désormais terminée pour tous les patients à travers le monde ? Loin s’en faut. “Il reste un énorme travail pour faire connaître cette maladie avant que les professionnels de santé aient le réflexe de rediriger leurs patients vers les services adaptés “, rappelle le professeur Arsène Mekinian, spécialisé en médecine interne à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Tous les patients ont beau souffrir d’inflammation avec des poussées de fièvre récurrentes ainsi que d’anémie, difficile pour les médecins de penser tout de suite à un syndrome de Vexas. “Tous ne connaissent pas forcément cette maladie. Mais une grande fatigue, un amaigrissement, une altération de l’état général et l’apparition de lésions sur tout le corps risquent de mettre la puce à l’oreille d’un généraliste, qui enverra le patient en médecine interne, explique Sophie Georgin-Lavialle. Nous, de notre côté, nous savons depuis la publication d’octobre 2020 que le signe à ne pas rater est une anémie macrocytaire, présentant des globules rouges beaucoup plus gros que ce qu’on retrouve lors d’une anémie avec de l’inflammation. ” Chaque patient avec ce signe et de l’inflammation est désormais testé, même les femmes.
La biopsie de la peau d’un bras de patient atteint de Vexas montre l’abondance de neutrophiles et de débris nucléaires dans le derme et la graisse sous-cutanée. Crédit : JAAD CASE REPORTS
D’autres mutations soupçonnées
En parallèle d’UBA1, d’autres anomalies génétiques pourraient être en cause. Ce qui met la puce à l’oreille des médecins : des patients qui, sur le plan clinique, correspondent en tout point aux malades classiques du Vexas – inflammation, anémie macrocytaire, papules sur la peau, douleurs articulaires et altération de l’état général. Pourtant, la mutation sur le gène UBA1 n’est pas retrouvée dans leur ADN. “Nous pensons qu’UBA1 est la cause génétique la plus commune pour expliquer Vexas, mais que d’autres gènes causant des manifestations similaires de la maladie vont finir par être identifiés”, confie le généticien David Beck. Une découverte qui permettrait aux patients, toujours dans le flou, d’être diagnostiqués.
Comment déterminer les cas les plus sévères rapidement
Avec environ dix ans de survie médiane après le début des symptômes, le syndrome de Vexas exige que des mesures soient prises rapidement. Mais devant cette maladie toute nouvelle, les médecins naviguent à vue. “Nous faisons de la médecine à l’envers, afin d’essayer de savoir quels patients doivent être traités et comment. L’idée est de comprendre lesquels présentent la forme la plus sévère et lesquels ont une forme plus légère ne nécessitant pas de médicaments très forts “, explique Arsène Mekinian.
Avec ses collègues du French Vexas Study Group, il tente de classifier ses patients en sous-groupes afin de les traiter au cas par cas. “Un premier groupe avec une atteinte dermatologique, dont en général l’absence d’autres organes atteints peut permettre des traitements moins lourds. Un deuxième groupe avec une atteinte hématologique dont le pronostic est plus sévère. Et enfin, des personnes âgées montrant une forte inflammation et dont la situation se détériore rapidement “, détaille le spécialiste.
Les symptômes d’une pathologie encore mal connue
Yeux et oreilles gonflés : L’inflammation globale donne lieu à des rougeurs et des gonflements autour des yeux ainsi que sur les lobes des oreilles.
Fatigue : Le patient se plaint d’une fatigue chronique, d’essoufflements et présente une altération de l’état général.
Inflammation : Le système immunitaire est en alerte permanente, faisant monter le niveau d’inflammation générale dans l’organisme.
Amaigrissement : Les sujets, souvent âgés, ont tendance à perdre du poids et à ne pas s’en apercevoir. C’est pourtant un signe classique du syndrome de Vexas.
Douleurs articulaires : Une arthrite inflammatoire entraîne des douleurs aux articulations.
Fièvre : L’état d’inflammation systémique provoque une augmentation de la température du corps au-dessus de 38 °C.
Anémie macrocytaire : Dans le sang, les globules rouges sont plus gros que la normale et ne contiennent pas assez d’hémoglobine.
Peau : Des lésions dermatologiques prenant l’aspect de papules apparaissent dans la grande majorité des cas sur tout le corps.
Thrombose veineuse : Aussi appelée phlébite, elle résulte d’un caillot sanguin dans une veine, causant une douleur et un gonflement de la jambe (œdème).
À la recherche de biothérapies efficaces contre l’inflammation
Pour le moment, la greffe de cellules souches hématopoïétiques, issues d’un donneur, reste la seule option curative. Celles-ci sont fabriquées par la moelle osseuse et sont à l’origine des différentes cellules du sang : les globules rouges ou blancs et les plaquettes. Cette procédure par voie intraveineuse, également utilisée contre les leucémies, permet de reconstituer une moelle capable de générer des cellules sanguines fonctionnelles. Chez les patients les plus sévères, une greffe de moelle osseuse permet de corriger les anomalies dans le sang et d’améliorer ainsi un certain nombre de symptômes liés, comme l’essoufflement, la fatigue, l’anémie et la thrombose. Mais il faut pour cela que les patients soient encore assez en forme pour se soumettre à une procédure aussi lourde. “Moins de 5 % des patients reçoivent une greffe à ce jour car ils sont dans un état trop sévère. Il y en a eu une dizaine par an en France depuis 2021 “, commente Sophie Georgin-Lavialle.
En l’absence d’anomalie sévère dans le sang, les corticoïdes permettent d’agir sur la fièvre et la douleur. Avec l’inconvénient de créer une forme de dépendance chez le patient et de générer des effets indésirables. “Le symptôme principal à contrecarrer étant l’inflammation, il existe plusieurs biothérapies qui constituent notamment une solution pour les sujets plus âgés “, précise la chercheuse. Parmi les pistes explorées figurent les anticorps monoclonaux anti-IL-6, déjà reconnus comme traitement de la polyarthrite rhumatoïde. En effet, l’interleukine IL-6, une protéine qui participe au contrôle de la réponse inflammatoire, est responsable du déclenchement de l’inflammation lorsqu’elle est produite en trop grande quantité dans le sang. Les anticorps monoclonaux sont des biothérapies qui permettent de contrer l’action inflammatoire de l’IL-6.
Une évolution de la maladie encore difficile à prédire
Autre traitement prometteur : les inhibiteurs des Janus Kinase, appelés “JAK inhibiteurs”. Les JAK sont des enzymes impliquées dans la signalisation de nombreuses cytokines pro-inflammatoires. Ce sont elles qui donnent le feu vert à la prolifération de cytokines, dont l’action déclenche une cascade inflammatoire dans l’organisme. Pour contrôler leur action, les thérapies (administrées par voie orale) qui ciblent les JAK ont pour but d’inhiber ces enzymes et donc de limiter les niveaux d’inflammation dans le corps. Mais l’évolution de la maladie reste difficile à prédire. Et sans traitement ciblé spécifique pour le moment, les malades gardent un pronostic délicat. L’urgence reste de déceler tous les cas qui s’ignorent encore. En espérant qu’au fil des années, la survie médiane des patients augmente progressivement.
“La fin d’une longue errance médicale“, par Sophie Georgin-Lavialle, professeure de médecine interne à l’hôpital Tenon (Paris)
“Avant l’identification de la maladie et du gène UBA1, il était impossible pour les malades de savoir de quoi ils souffraient. Le personnel médical les rangeait dans différentes catégories selon le symptôme principal identifié. Le patient présentait des problèmes sanguins ? On le considérait souvent comme ayant une maladie auto-immune et une myélodysplasie, avec trop peu de cellules sanguines matures saines et qui ne fonctionnent pas correctement. Ceux avec beaucoup de lésions sur la peau pouvaient être confondus avec un syndrome de Sweet, qui entraîne l’apparition de papules similaires. Enfin, ceux souffrant surtout d’articulations douloureuses ou d’inflammation aux yeux et aux oreilles se voyaient diagnostiquer une polychondrite atrophiante, maladie rare caractérisée par la survenue d’épisodes répétés d’inflammation de certaines structures cartilagineuses.”