Lors des mondiaux de natation à Fukuoka (Japon), Léon Marchand a décroché trois médailles d’or et même battu le record du monde au 400 mètres 4 nages, détenu par l’américain Michael Phelps depuis 2008. Grâce à la remarquable exécution de ses “coulées”, il passe en tête 75 mètres après le départ et finit par distancer ses adversaires de plus de deux secondes.
20% plus rapide sous l’eau
Lorsque le nageur se propulse en poussant contre le mur, il est totalement immergé dans l’eau et profite de cet élan pour effectuer la nage du dauphin : c’est cette phase sous-marine qu’on appelle “coulée”. Elle est particulièrement efficace. En moyenne, les athlètes sont 20% plus rapides lorsqu’ils nagent sous l’eau. L’usage de la coulée est ainsi limité à 15 mètres à chaque virage (demi-tour des nageurs). Pour une épreuve de 400 mètres, on compte ainsi 8 coulées. Mais comment Léon Marchand les utilise-t-il ? Sciences et Avenir a demandé à une spécialiste de la performance sportive de nous éclairer.
Amandine Aftalion est chercheuse au CNRS et vient de publier le livre “Pourquoi est-on penché dans les virages ? Le sport expliqué par les sciences en 40 questions”. Elle-même nageuse, elle s’est notamment intéressée aux principes physiques qui régissent les coulées. “Quand on veut évaluer la performance sportive d’un athlète, trois dimensions sont à prendre en compte : l’aspect mécanique, énergétique et le contrôle moteur”, détaille la scientifique. Toutes sont remarquablement illustrées par Léon Marchand.
Lutter contre la traînée
L’aspect mécanique se traduit par l’effort déployé pour avancer malgré les frottements. “L’enjeu pour les nageurs est d’optimiser leur force (muscles et propulsion) et de réduire la trainée, c’est-à-dire les forces de frottements”, indique Amandine Aftalion. Le nageur peut agir à plusieurs niveaux pour lutter contre la traînée. D’abord, il limite la surface présentée à l’eau en adoptant la forme la plus allongée possible. La force qui s’oppose au mouvement est ainsi réduite. “Il faut donc être musclé, mais pas trop non plus car cela accentuerait la traînée”, modère la chercheuse.
Par ailleurs, l’eau circule autour du corps et forme une pellicule qui constitue une résistance pour le nageur. “C’est pourquoi les athlètes portent un bonnet de bain et se rasent. A une époque, ils utilisaient aussi des combinaisons pour être tout à fait hydrodynamique, mais celles-ci sont à présent interdites“, ajoute-t-elle. Enfin, une dernière force s’oppose au nageur. Son mouvement engendre une vague derrière lui qui se propage dans tous les sens, et le ralentit.
“Pourquoi est-on penché dans les virages”, par Amandine Aftalion, CNRS Editions.
Cependant, la nage sous l’eau réduit l’impact de ces traînées, ce qui explique que les nageurs soient en moyenne 20% plus rapides quand ils sont complètement immergés. “Pour augmenter sa vitesse, il suffit de nager à une ou deux épaisseurs de son corps sous la surface”, souligne Amandine Aftalion. Lors de l’épreuve du 400 mètres 4 nages, Léon Marchand a effectué des coulées de 14 mètres, frôlant ainsi la limite des 15 mètres de coulée autorisés. A titre de comparaison, celles de Michael Phelps s’étiraient sur 7 mètres tout au plus. Mais alors comment le nageur français parvient-il à maintenir cette vitesse sur toute la durée de l’épreuve ?
“Utiliser la vague créée pour se propulser”
“La force de Léon Marchand, par rapport à ses concurrents, c’est qu’il arrive à utiliser la vague qu’il crée pour se repropulser, à la manière du dauphin”, analyse-t-elle. Ces ondulations sont initiées au niveau de la tête, parcourent tout le corps jusqu’aux hanches et se terminent par un battement de pieds. Tout est une question de rythme ! Quand ce mouvement est parfaitement exécuté, les pieds frappent l’eau au moment où la vague se forme, ce qui permet au nageur de se repropulser. “C’est ce qui lui permet de creuser l’écart avec ses adversaires”, appuie Amandine Aftalion.
Reste à répartir correctement l’effort sur la durée de l’épreuve. C’est l’aspect énergétique. Les sportifs disposent de deux mécanismes pour transformer le glucose en énergie : l’un aérobie et l’autre anaérobie (respectivement avec et sans oxygène). Ces deux processus de respiration cellulaire ne se déclenchent pas au même moment durant l’effort. D’abord c’est l’anaérobie qui est sollicitée, puis l’aérobie prend le relais. “Pour un sprint, un 50 mètres par exemple, c’est le mécanisme anaérobie qui est utilisé”, illustre la chercheuse.
Mais pour une épreuve plus longue, le nageur doit tenir sur la durée. C’est alors une question d’équilibre. “Il faut partir fort pour mettre en route le cycle aérobie mais garder de l’énergie pour le dernier tiers de l’épreuve. D’ailleurs, on voit bien que Léon Marchand n’est pas le premier à la fin de la première longueur”, démontre-t-elle. “Il faut garder une vitesse de croisière pour économiser son souffle et produire à la fin, l’accélération qui change la donne”. Enfin, le contrôle moteur est la transmission de l’information depuis le cerveau jusqu’aux muscles. Il est d’autant plus efficace que le nageur est convaincu de pouvoir gagner et que la charge mentale reste raisonnable. “C’est l’association de ces trois aspects, mécanique, énergétique et le contrôle moteur qui font le champion et la performance”, conclut Amandine Aftalion.