Le chercheur Ori Bar-Nur et son équipe de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), en Suisse, ont réussi à faire pousser dans leur laboratoire des cellules musculaires de souris à partir de cellules conjonctives. Cette nouvelle technique pourrait permettre de produire des fibres musculaires en grande quantité offrant notamment des applications en médecine.
“Cette approche nous permet de produire énormément de cellules musculaires“
Les cellules conjonctives, servant de matériel de base à cette méthode, sont normalement les “briques” du tissu conjonctif qui lie et soutient d’autres tissus ou les organes de notre corps. Ces cellules sont aussi particulièrement simples à produire en laboratoire. Ici, elles ont été reprogrammées en cellules souches musculaires à l’aide d’un cocktail moléculaire et protéique injecté en elles. Une fois la transformation effectuée, elles se sont multipliées pour aboutir à des fibres musculaires fonctionnelles. “Cette approche nous permet de produire énormément de cellules musculaires“, explique dans un communiqué Xhem Qabatri, doctorant à l’EPFZ et co-auteur d’une étude parue le 8 août 2023 dans la revue Regenerative Medecine.
La clé de cette méthode de métamorphose cellulaire se situe dans le fameux cocktail injecté dans les cellules conjonctives. Ce dernier contient un ingrédient en particulier qui fait toute la différence : l’ARN messager (ARNm) de la protéine MyoD. Un ARNm est une molécule utilisée pour la synthèse d’une protéine par une cellule. Quant à la MyoD, il s’agit d’un facteur de transcription, c’est-à-dire qu’elle permet d’initier ou de réguler l’activité de gènes.
C’est finalement grâce à elle que les cellules conjonctives vont opérer leur mutation en cellules souches musculaires. D’abord, la cellule s’applique à produire la MyoD après l’injection de son ARNm, et ensuite cette protéine va pousser cette même cellule à activer ses gènes en lien avec la production de fibres musculaires.
Une méthode inspirée par les vaccins
D’autres techniques permettaient déjà de produire des cellules musculaires. Par exemple, des particules virales peuvent amener dans le noyau des cellules conjonctives l’information génétique nécessaire pour produire la MyoD. L’information est insérée dans le génome. Cependant, la technique présente deux risques majeures : d’abord, les chercheurs ne peuvent pas contrôler avec une grande précision l’endroit précis de cette insertion. Ensuite, des dégâts génétiques sont possibles ou même la formation de cancers.
La nouvelle méthode a été élaborée à partir de la technique utilisée pour mettre au point les vaccins à ARM messagers contre le Covid-19. En introduisant l’ARNm de MyoD dans les cellules conjonctives, la manipulation devient extrêmement précise et évite tout dégât sur le génome car aucune insertion n’a lieu. La cellule doit juste utiliser ses propres “outils” pour créer la protéine. L’équipe helvète est la première à réaliser cet exploit.
Des applications très diverses
Les cellules musculaires ainsi produites sont totalement fonctionnelles comme l’a démontré une expérience effectuée sur des souris atteintes par la myopathie de Duchenne (une maladie provoquant progressivement l’affaiblissement des muscles). Les chercheurs ont cette fois injecté directement des cellules souches musculaires dans le tissu abîmé. Résultat : ces dernières ont réparé les fibres touchées aux alentours jusqu’à ce que le tissu musculaire soit rétabli. “Nous souhaitons étudier s’il est également possible de convertir les cellules du tissu conjonctif en cellules musculaires directement dans le corps en injectant l’ARNm de MyoD et les autres composants du cocktail à des souris atteintes de maladies musculaires“, ajoute Ori Bar-Nur. L’innocuité apparente de la méthode laisse entrevoir des applications en médecine humaine.
Enfin, cette technique pourrait aussi modifier notre alimentation, en mettant au point une nouvelle manière de produire de la viande en laboratoire.
