Mais “la meilleure façon de se protéger du Soleil n’est pas de se badigeonner de crème ! C’est avant tout de s’exposer le moins longtemps possible”, avertit d’emblée Marie-Aleth Richard, cheffe du service de dermatologie générale et vénéréologie à l’hôpital de la Timone, à Marseille. Car une exposition prolongée et répétée aux rayons ultraviolets (UV) accélère le vieillissement de la peau – taches, rides et amincissement – et augmente le risque de cancer cutané. Le dilemme est que le Soleil est aussi nécessaire, à notre organisme, notamment pour qu’il synthétise la dose de vitamine D dont il a besoin… Passer 15 à 20 minutes par jour en plein air est recommandé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Il faut donc jongler : un peu de Soleil, mais pas trop !
Les UV sont classés en trois catégories (A, B ou C) selon leur longueur d’onde. Plus celle-ci est courte, plus les rayons sont énergétiques, donc théoriquement dangereux, mais moins ils pénètrent dans les milieux où ils se propagent. Ainsi, les UV-C (190 à 290 nanomètres [nm]), très énergétiques, sont inoffensifs, une infime partie d’entre eux atteignant la surface de la Terre. Représentant 2 % des ultraviolets, les UV-B (290 à 320 nm) provoquent quant à eux une inflammation de l’épiderme, partie superficielle de la peau. Ce qui se traduit 24 heures plus tard par un détestable coup de Soleil.
Se protéger autant des UV-A que des UV-B
Les 98 % des ultraviolets restants à nous parvenir sont les UV-A (320 à 400 nm). Moins énergétiques, ils pénètrent plus en profondeur, jusqu’au derme moyen, sans sensation de brûlure. Ce faisant, ils stimulent la production de pigments – les mélanines -, produits par les mélanocytes, des cellules situées à la frontière de l’épiderme et du derme. Un premier type de mélanines, les eumélanines, présentes en grande quantité dans les peaux mates, protègent efficacement celles-ci contre les UV en les faisant bronzer. Les phéomélanines, très abondantes dans les peaux claires ou rousses, n’ont en revanche pas cet effet protecteur. Résultat : les personnes à la peau claire rougissent et doivent se protéger davantage. C’est également le cas des individus souffrant de certaines pathologies auto-immunes comme le vitiligo (dépigmentation de la peau en raison de la destruction des mélanocytes par le système immunitaire). Or nous sommes d’autant plus exposés aux UV-A que, contrairement aux UV-B, ils traversent les vitres. Autrement dit, il faut s’en protéger, aussi bien que des UV-B.
Pour contrer ces redoutables ultraviolets, les produits solaires incorporent dans leurs émulsions huile-eau deux types de filtres : chimiques, également dits “organiques”, et minéraux. Dans les premiers, les molécules chimiques absorbent les rayonnements UV en agissant de préférence à certaines longueurs d’onde. On en incorpore donc différents types pour obtenir une efficacité maximale à la fois contre les UV-B et les UV-A. Les seconds, aussi appelés “écrans”, renferment des particules de dioxyde de titane (TiO2) ou d’oxyde de zinc (ZnO) qui réfléchissent le rayonnement UV à la surface de la peau, comme un miroir. Ils forment après application une couche blanche, pas toujours très esthétique.
Des filtres chimiques allergisants
Chaque formulation a ses avantages… et ses inconvénients. Dans le cas des filtres chimiques, les molécules employées sont parfois mal tolérées par l’organisme. Elles suscitent alors des allergies de type eczéma ou même des réactions immunitaires photosensibles (démangeaisons, rougeurs) . Leur teneur est donc plafonnée, conformément aux recommandations européennes. Certaines d’entre elles – le benzophénone-3, l’octocrylène et un dérivé de l’acide para-amino-benzoïque – ont même été supprimées par les fabricants dans les produits solaires vendus en pharmacie, parce qu’elles provoquaient trop fréquemment des allergies. Mais on peut encore en trouver dans des produits vendus via d’autres réseaux de distribution. Autre problème toujours à l’étude : les molécules des filtres organiques peuvent franchir la barrière cutanée et se retrouver dans le sang, avec un risque de perturbation endocrinienne.
La présence de nanoparticules en débat
Plus actifs que les filtres chimiques, et privilégiés par les marques étiquetées bio, les écrans sont à priori moins nocifs, car ils ne provoquent pas d’allergie et ne pénètrent pas dans le sang. Leur utilisation est réglementée au niveau européen par le Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs (CSSC) la masse totale des particules est limitée à 25 % de celle du produit. Dans les sprays, le CSSC a interdit le TiO2 et le ZnO sous forme nanométrique, pour éviter une inflammation possible des poumons par inhalation.
Dans les crèmes, un débat existe sur la présence éventuelle de nanoparticules susceptibles de pénétrer dans les vaisseaux sanguins. Le TiO2 et le ZnO semblent hors de cause, car ils y sont présents en agrégats de 100 à 200 nm enrobés par une couche de silice ou d’alumine destinée à empêcher la formation de radicaux libres au contact des UV. Mais, comme le souligne Jérôme Labille, directeur de recherche CNRS au Centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement, à Aix-en-Provence, “on y trouve parfois des agrégats plus petits, de 50 nm. Ce qui interroge sur leur pénétration possible dans certaines peaux plus perméables, comme celle des bébés, celles fraîchement épilées ou brûlées par un coup de Soleil”. Par ailleurs, les fabricants ont tendance à inclure des nanoparticules dans leurs agrégats, car elles permettent de supprimer l’inesthétique effet “couche blanche”. Avec les crèmes solaires, le risque zéro n’existe donc pas…
Il n’existe pas non plus pour la planète. Les produits anti-UV finissent majoritairement leur vie dans les piscines, l’eau de mer, les lacs ou les eaux d’évacuation. Jérôme Labille a mené sur les plages de Marseille l’une des premières études comparatives consacrée aux deux types de filtres. Résultat : les filtres organiques se dégradent plus ou moins vite sous l’effet du Soleil, des bactéries et du sel. On en retrouve très peu dans l’eau de baignade, une partie étant aussi absorbée par la peau. Toutefois, l’oxybenzone et l’octinoxate, deux molécules de synthèse accusées de contribuer au blanchissement des coraux, ont été interdites dans les crèmes solaires à Hawaï et en Floride.
Les particules de TiO2 et de ZnO sont, en revanche, peu solubles dans l’eau. Mais leur enrobage peut se dégrader sous l’action du chlore ou du sel et libérer des nanoparticules potentiellement accessibles au phytoplancton, aux microalgues, crustacés et autres poissons, avec le risque de contaminer la chaîne alimentaire allant du plancton à l’humain. Tenus par une réglementation européenne d’indiquer la présence de “nano” sur leurs étiquettes, les fabricants commencent à le faire. Mais les méthodes d’analyse des nanoparticules ne font pas consensus, ce qui entrave le contrôle des pouvoirs publics.
In fine, que ce soit pour les filtres chimiques ou minéraux, des études complémentaires sur leur impact environnemental restent nécessaires. Et si les manches longues et les bobs demeuraient la meilleure protection ?
Par Marie-Laure Théodule