Pour mener cette étude, les chercheurs ont composé un groupe de 84 personnes bilingues en anglais et en espagnol, ainsi qu’un groupe contrôle de 42 anglophones. Chaque individu devait retrouver l’image correspondant au mot énoncé en anglais parmi quatre images d’objets dont les sons étaient plus ou moins proches en anglais et en espagnol. “Des recherches antérieures ont montré que les personnes bilingues activent constamment leurs deux langues en même temps, un phénomène connu sous le nom de co-activation”, explique Matias Fernandez-Duque, auteur principal de l’étude : “Lorsque les bilingues entendent un mot dans une langue, les mots qui se ressemblent (appelés “concurrents”) dans les deux langues deviennent actifs dans leur esprit”.
Les participants ont effectué une tâche de recherche visuelle, puis une tâche de mémoire de reconnaissance. (A) Exemples d’essais de recherche visuelle. Les essais de concurrence (rangée du haut) comprenaient des concurrents phonologiques soit en anglais à l’intérieur de la langue (par exemple, clock-clown), soit en espagnol entre les langues (par exemple, clock-clavo). Ils ont été comparés à des essais de contrôle sans chevauchement phonologique (par exemple, horloge-miroir). (B) Tâche de mémoire de reconnaissance. La mémoire de chaque élément concurrent et de contrôle a été évaluée en demandant aux participants s’ils se souvenaient d’avoir vu les éléments précédemment (anciens) ou non (nouveaux).
Par exemple, en entendant le mot “clock”, une horloge en anglais, les bilingues anglo-espagnols vont activer d’autres mots aux sonorités proches, comme “clavo” (clou, en espagnol) ou “clown” en anglais. Lors de l’expérience, les chercheurs se servent des mouvements oculaires pour comprendre ce qui se passe dans l’esprit d’une personne. Ainsi, pour reprendre l’exemple précédent, s’il est demandé à un bilingue espagnol-anglais de chercher la représentation visuelle du mot “clock” (horloge), il regardera aussi rapidement un clou (“clavo”), parce que les deux mots commencent par les mêmes sons.
Le rôle des mots concurrents dans l’activation de la mémoire visuelle
La mémoire visuelle de chaque participant du groupe test et du groupe contrôle a ensuite été évaluée en leur demandant s’ils se souvenaient d’avoir vu certains éléments précédemment ou non. “Nous avons montré que des objets qui se ressemblent sont mémorisés différemment selon la langue parlée”, poursuit le chercheur. En effet, alors que le tous les participants anglophones se souvenaient des mots concurrents anglais (par exemple, “clown”), les bilingues espagnol-anglais se souvenaient également des mots concurrents espagnols (“clavo”). “Notre principale conclusion est que les antécédents linguistiques des individus influencent ce qu’ils regardent et ce qu’ils retiennent d’une scène visuelle”, conclut Matias Fernandez-Duque.
Les conséquences du bilinguisme, un sujet encore débattu
Les langues que nous parlons et d’autres aspects de la cognition sont étroitement liés. Certaines études montrent que le bilinguisme facilite l’exécution de tâches nécessitant une flexibilité et un contrôle cognitifs. D’autres ont montré que le bilinguisme retarde de 4 à 5 ans l’apparition de la maladie d’Alzeihmer. “Mais les conséquences cognitives du bilinguisme sont encore débattues”, confirme l’auteur de la présente étude. Et pour les trilingues et autres polyglottes ? “Nous n’en savons rien !”, d’où l’intérêt, selon le chercheur, de poursuivre ces recherches qui pourraient permettre de développer de meilleures stratégies pour les populations souffrant de pertes de mémoire ou pour l’apprentissage de langues étrangères.