“Quels sont les profils des personnes qui affirment avoir vécu une expérience de mort imminente ?”, nous demande Josiane Vire Content sur notre page Facebook. C’est notre Question de la semaine. Pour y répondre, (re)découvrez ci-dessous des éléments de réponse issus de notre article “Expériences de mort imminente : voyage aux confins de la conscience” publié initialement en 2016.
Expérience de mort imminente : 2 à 12% des personnes victimes d’arrêt cardiaque
C’est en traversant la rue que Danielle a été heurtée de plein fouet par un tramway. “Ce fut d’abord un trou noir, raconte-t-elle, puis j’étais dans un tunnel, attirée par une lumière merveilleuse, un amour inconditionnel. J’ai ressenti un bien-être jamais éprouvé. Des êtres lumineux m’ont accueillie, ils communiquaient sans parler.” Trente-cinq ans plus tard, cette pétillante professeure de yoga n’a rien oublié. “J’ai eu un choix à faire : partir ou revenir. Puis soudain je me suis vue d’en haut, allongée sur un lit. Je voyais la salle blanche et les gens habillés en vert. Je me suis réveillée dans une chambre d’hôpital.”
Visions, tunnel, lumière, décorporation, paix, rencontre avec des défunts… Danielle a vécu ce que l’on appelle une “expérience de mort imminente” (EMI), médiatisée par le psychiatre américain Raymond Moody dans les années 1970 à la suite de récits de patients récupérant d’un coma. Bruce Greyson, professeur émérite de psychiatrie à l’université de Virginie, aux États-Unis, a, lui, créé en 1983 une échelle de mesure en 16 questions qui, à partir de sept réponses positives, valide l’EMI (voir ci-dessous).
Aujourd’hui, il définit celle-ci comme “un événement psychologique profond avec des éléments transcendantaux et mystiques survenant chez des individus proches de la mort”. Sa fréquence serait de 2 à 12 % chez les personnes victimes d’arrêt cardiaque, selon une méta-analyse de 2008. Est-ce la réaction d’un cerveau en détresse ou la preuve de la séparation entre le corps et l’esprit ? Personne n’a encore réussi à le démontrer.
Mais une poignée de chercheurs s’est mis en tête de percer le mystère. Pour ce faire, Danielle a rendez-vous avec l’une de ces équipes mondialement connues, le Coma Science Group (CSG) du Giga Research au CHU de Liège (Belgique) dirigé par le professeur Steven Laureys qui a lancé en 2016 une étude unique en son genre : faire revivre une EMI sous hypnose.
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“Les expériences de mort imminente surviennent dans toutes les cultures”
Tout l’enjeu est de savoir ce qui se joue dans le cerveau des “expérienceurs”, comme les appellent les experts du CSG, et dont les témoignages semblent avoir existé de tout temps. Des chercheurs ont en effet analysé de possibles expériences d’EMI historiques et mystiques dans les anciennes civilisations. Selon Philippe Charlier, médecin légiste et anthropologue, “le premier cas de ces récits en Europe daterait de 1740, rapporté par un médecin militaire du nord de la France au sujet d’un patient, victime d’une syncope.”
L’expérience serait, de plus, universelle. “Les EMI surviennent dans toutes les cultures et religions, note Birk Engmann, psychiatre et neurologue allemand. Mais leur contenu varie. En Inde, les récits rapportent l’apparition de stigmates sur le corps et la rencontre avec des divinités.” “Au Maghreb, certains récits décrivent plutôt une porte qu’un tunnel, et en Russie, il semblerait qu’il y ait davantage d’EMI négatives, avec des visions terrifiantes”, ajoute Steven Laureys. Néanmoins, ces différences, anecdotiques pour la plupart, restent à étudier.
30 % des EMI ne surviennent pas en état de mort imminente !
L’EMI serait-elle donc un ensemble de visions interprétées par le cerveau selon ses traditions ? En effet, “le cerveau a toujours besoin de construire une histoire cohérente avec ce qu’il perçoit”, commente Vanessa Charland, chargée de recherche au FNRS et neuropsychologue au CSG. Depuis trente ans, de nombreuses hypothèses neurobiologiques ont tenté d’expliquer rationnellement l’EMI et de dessiner “le cerveau EMI” (lire l’encadré ci-dessous).
EMI : de nombreuses hypothèses neurobiologiques
En 1996, le psychiatre britannique Karl Jansen montre, par exemple, que ses caractéristiques peuvent être provoquées par l’injection de kétamine, un anesthésiant. Un an après, James Whinery, un professeur de chimie américain, la rapproche des sensations vécues par les pilotes à l’entraînement en centrifugeuse, lorsque le sang quitte le cerveau jusqu’à la syncope. En 1994, Thomas Lempert, de l’université Humbolt (Allemagne), induit des syncopes chez 42 adultes sains qui témoignent alors de visions de type EMI dont la rencontre avec des défunts. En Suisse, le neurologue Olaf Blanke, révèle, lui, en 2002, qu’il a provoqué des sensations intenses de décorporation chez une patiente épileptique par stimulation cérébrale du cortex temporo-pariétal droit. À leur suite, l’équipe de Steven Laureys a déjà observé l’EEG ou l’imagerie de cerveaux de volontaires pendant une syncope ou une injection de kétamine. Ainsi, le “cerveau EMI” se dessine. “Nous savons que la zone temporo-pariétale gauche s’active lorsque vous sentez la présence de quelqu’un, commente le scientifique. L’absence de douleur et la sensation de bien-être généralisé sont peut-être liées à l’activité du cortex cingulaire antérieur, alors que la sensation d’unité cosmique correspond aux zones pariétales postérieures.”
Mais l’existence même des expériences de mort imminente fait débat. “Il y a comme trois clans, déplore la neuropsychologue Vanessa Charland du CSG. Les scientifiques opposés à ces recherches qui qualifient l’étude des EMI de “pseudo-scientifique” ; les “croyants” qui pensent détenir la preuve de l’au-delà ; et nous autres, taxés de “matérialistes”, qui tentons de comprendre ces expériences et le fonctionnement cérébral associé.” La recherche des “matérialistes” est pourtant d’autant plus pertinente que, selon les récits recueillis par le CSG, 30 % des EMI ne surviennent pas en état de mort imminente. “Certains l’ont vécu à l’endormissement ou au réveil, d’autres lors d’une méditation, d’une migraine et même pendant un orgasme !”, rapporte la neuropsychologue. Un état de conscience qui nous concernerait donc tous.