Le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement en particulier (défini dans l’étude comme “un acte agressif et intentionnel, effectué seul ou en groupe et à l’encontre d’un individu, essentiellement en ligne, et pouvant se reproduire sur de longues périodes”) se concentrent souvent sur l’apparence et le poids de la victime, provoquant chez cette dernière l’émergence de divers troubles alimentaires et psychiatriques (comme définis dans le DSM-5, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques) :
- La peur de grossir
- Une estime de soi uniquement liée au poids
- De l’anorexie mentale (perte ou diminution volontaire de l’appétit)
- Des comportements compensatoires pour éviter de grossir (manger peu de calories, se faire vomir, faire du sport en très grande quantité, ingérer pilules et autres laxatifs)
- De la boulimie (prises compulsives de quantités importantes de nourriture suivies de comportements compensatoires)
- De l’hyperphagie boulimique
Cette dernière provoque des épisodes récurrents de crises de boulimie, mais sans le recours aux comportements compensatoires caractéristiques de la boulimie. C’est pourquoi les personnes souffrant d’hyperphagie boulimique sont généralement en surpoids ou en situation d’obésité. Ces troubles présentent des taux de mortalité parmi les plus élevés de tous les troubles psychiatriques. Par exemple, selon l’Inserm, 5 à 6% des troubles anorexiques mentaux chroniques diagnostiqués lors de l’adolescence se révèlent mortels.
Aussi, une auto-objectification peut apparaitre chez les victimes de cyberharcèlement. Ces dernières considèrent leur corps comme un objet différencié de leur personne et qu’il faut modifier pour rentrer dans la norme, faisant baisser l’estime de soi et augmentant les risques de troubles mentaux comme l’anxiété ou la dépression. Ces symptômes peuvent se déclarer dès l’âge de 10 ans, avec un impact négatif sur le long terme et pouvant même pousser des anciennes victimes à harceler à leur tour.
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Les harceleurs davantage touchés par ces troubles
Cette étude est la première à utiliser un échantillonnage aussi complet et varié : 10.258 enfants et jeunes adolescents de 10 à 14 ans vivant aux États-Unis. Elle est également la première à s’intéresser aux harceleurs ainsi qu’aux harcelés et une découverte étonnante a ainsi été faite par les chercheurs : le taux de prévalence pour la peur de grossir, l’estime de soi liée au poids, la boulimie et l’hyperphagie boulimique sont à chaque fois plus élevés chez les harceleurs que les harcelés !
Seuls les comportements compensatoires apparaitraient davantage chez les harcelés. En outre, harceler provoquerait une obsession aussi forte sur le poids et le physique, voir plus fréquemment que chez les victimes. Cela peut aussi conduire à des troubles mentaux provoqués par une auto-objectification. Précisons tout de même que 9,5% des adolescents concernés par l’étude se considéraient comme harcelés et seulement 1,1% comme harceleurs (l’aveu est sans doute plus dur à faire…). Identifier les facteurs jouant sur la sévérité des troubles alimentaires est le prochain objectif de l’équipe canadienne. Une prévention à des âges plus précoces sur les méfaits du harcèlement ainsi qu’une mise en place de méthodes pour y faire face semble primordiale.
“Les cyberviolences seules n’existent pas”
Emmanuelle Piquet, essayiste française spécialisée dans les problématiques de souffrance en milieu scolaire, nuance les conclusions de l’étude auprès de Sciences et Avenir. “Il y a une interprétation difficile du terme “harcèlement” aujourd’hui, surtout pour le cyberharcèlement. On oublie souvent la notion de répétitivité, il y a une vraie élaboration et réflexion derrière, ce n’est pas instinctif. De par mon expérience, ces notions ne sont pas ou peu présentes lors d’agressions sur les réseaux sociaux, il vaut mieux alors parler de cyberviolences.” Pour elle, ce qui prime de nos jours, c’est l’attitude victimaire des personnes agressées, ce qui provoque une sorte de “joie” chez les harceleurs et qui devient leur focus par la suite. De plus, selon son expérience, les cyberviolences seules n’existent pas : il y a toujours du harcèlement “classique” qui l’accompagne. “Les femmes en Occident sont les plus victimisées, en plus du poids, il y a une norme physique très marquée qui peut provoquer beaucoup de troubles chez les jeunes filles, surtout de l’anorexie”, avance-t-elle.