Sans surprise, ce travail montre une nouvelle fois que les changements climatiques seront d’autant plus sévères que les émissions de gaz à effet de serre seront importantes. C’est le message clé de toujours du Giec : le pire n’est pas certain si l’ensemble de l’humanité s’entend pour résoudre drastiquement l’utilisation des énergies fossiles et atteint le “zéro carbone” le plus tôt possible dans le siècle. Les chercheurs ont donc développé quatre “narratifs”, c’est-à-dire des trajectoires possibles selon l’efficacité de l’action des humains à lutter contre la hausse des températures.
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Plus de pluies dans le nord de la France, plus de sécheresse dans le sud
Celle-ci a un impact direct sur le cycle de l’eau bien documenté par les rapports du Giec. La hausse des températures provoque une évaporation plus intense au-dessus de l’océan dont les eaux sont plus chaudes, ce qui signifie plus de vapeur d’eau et donc plus de précipitations. Mais ces précipitations seront plus chaotiques avec des retards et des affaiblissements des moussons africaines et asiatiques, et dans les zones tempérées des apports d’eau moins réguliers avec des périodes plus longues de sécheresse et des pluies plus violentes et courtes, donc des volumes d’eau plus importants tombant en 24 heures.
C’est ce lien qu’investigue Explore 2 pour le territoire français. Avec de précieux enseignements. Ainsi, la recharge potentielle annuelle des nappes phréatiques devrait augmenter légèrement en fin de siècle dans le nord et le nord-est de la France et rester stable dans le reste de la France. De même, le débit moyen hivernal des rivières et fleuves devrait augmenter de 15%, mais, en revanche, les débits d’été devraient baisser de 15%, avec des tendances à -50% dans le Sud-Ouest et les Alpes et de -40% en Méditerranée. “De par sa position géographique, la France voit remonter vers le nord les caractéristiques climatiques aujourd’hui méditerranéennes, ce qui favorise le nord de l’Hexagone, qui sera plus chaud et plus arrosé, mais défavorise le sud qui sera plus sec”, précise Éric Sauquet.
La situation estivale des cours d’eau va donc aller en s’aggravant. L’évolution des nappes phréatiques montre des augmentations de niveau dans le Bassin parisien, la Basse-Normandie, les Hauts-de-France et le nord du bassin de la Loire mais une diminution en Poitou-Charentes, en Tarn-et-Garonne et en Alsace. Les deux premières régions citées sont déjà le théâtre de conflits autour de l’usage de l’eau l’été.
Des sécheresses de trois à cinq fois plus nombreuses en 2050
En matière de sécheresse, pour tous les scénarios d’émission, “la fréquence et l’extension spatiale des sécheresses météorologiques estivales ont tendance à augmenter”, affirme le rapport final du programme. En fin de siècle pour le scénario de fortes émissions, 20% de la surface de la France hexagonale sera touchée par une sécheresse météorologique aujourd’hui décennale contre 10 % actuellement.
Les sécheresses météorologiques aujourd’hui décennales seront 3 à 5 fois plus nombreuses après 2050. En conséquence, la fréquence, les territoires impliqués et la durée des sécheresses du sol ont tendance à augmenter. La fréquence d’occurrence de ces sécheresses du sol va doubler à tripler dans les scénarios d’émissions modérées et se multiplier par 4 ou 5 dans les scénarios de fortes émissions.
“Il ne s’agit pas d’une prévision, mais d’une projection dans le futur”, prévient Éric Sauquet. Le travail manque par ailleurs de précisions, même si le projet a bénéficié des mesures d’un réseau de 4500 piézomètres et capteurs de débit qui surveillent en continu le niveau des nappes et le débit des rivières hexagonales. La maille utilisée est de 8 kilomètres et donc ces “pixels” de 64 kilomètres carrés ne peuvent refléter les situations locales des bassins versants et de leurs nappes.
Mais ces simulations constituent un outil précieux pour les gestionnaires actuels de l’usage de l’eau entre les différents acteurs territoriaux : collectivités, agriculteurs, industriels, professionnels du tourisme. C’est pourquoi toutes les données sont désormais disponibles gratuitement sur un portail Drias eau géré par Météo France.
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Des élus locaux en demande de données scientifiques
Explore 2 est donc un programme intégré avec un autre projet LIFE eau&climat qui en est le parfait pendant. “LIFE eau&climat avait pour but de répondre aux besoins des acteurs locaux de l’eau en connaissances pour anticiper les effets du changement climatique sur leur territoire”, explique Sonia Siauve, coordinatrice du programme pour l’Observatoire international de l’eau (OI-eau).
Alors qu’Explore 2 donne les grandes tendances du cycle de l’eau en France au cours du siècle, le programme LIFE s’attache lui à la proximité. Il s’appuie donc sur les structures actuelles de gestion, les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage), sorte de “parlements” qui regroupent tous les utilisateurs de l’eau sur un bassin versant. Il existe aujourd’hui 90 Sage sur le territoire français. Neuf ont participé au programme. Ces bassins ont testé et validé des méthodologies d’évaluation des vulnérabilités de leur territoire telles que des étiages trop sévères impactant l’activité touristique ou la pêche, des prélèvements pour l’irrigation mal contrôlés, des risques de rupture d’approvisionnement en eau potable des populations. Un guide des stratégies d’adaptation au changement climatique pour la gestion locale de l’eau a également été produit.
Les 9 Sage et les cinq organismes scientifiques du programme LIFE eau&climat.
“Le programme Explore 2 répond par ailleurs à une demande forte des acteurs locaux d’un lien plus étroit avec la recherche pour bénéficier de données qui conforte leurs décisions, estime Sonia Siauve. Explore 2 leur fournit des trajectoires possibles de la disponibilité en eau sur tout le 21e siècle, ce qui permet d’asseoir une gestion à long terme sur des bases plus solides.”
Le portail Drias eau donne ainsi des données régionales qui peuvent servir de base à une évaluation réaliste de l’impact probable du changement climatique sur les rivières et nappes très locales. Rivières aux assecs plus longs, baisses des débits estivaux, réduction de la couverture neigeuse mais précipitations hivernales plus fortes : au-delà des fluctuations naturelles des années plus ou moins sèches ou humides, le changement climatique commence à influer sur la disponibilité d’une ressource essentielle qui rappelle son importance quand elle manque ou quand elle est trop abondante. Une tendance globale pour des effets très locaux.