La fusion, c’est le rêve d’une énergie abondante, constante, non polluante et sûre. L’énergie sera produite par la fusion de deux noyaux atomiques légers pour en former un plus lourd, générant plus d’énergie que celle consommée. Pour abriter cette réaction, il faut imaginer une immense bouée circulaire bardée d’aimants dans laquelle les particules conduites par un champ magnétique se pourchassent et s’amassent un peu comme un essaim d’abeilles. N’imaginez plus: il est désormais possible de visualiser tout cela en 3D, dans une simulation au réalisme stupéfiant.
Expert dans la visualisation 3D, le Laboratoire de muséologie expérimentale EM+ de l’EPFL a créé un outil capable de transformer les térabytes de données issues des expériences et simulations du Swiss Plasma Center (SPC) de l’EPFL en une expérience immersive. Pour les profanes, c’est un feu d’artifice de particules permettant un voyage initiatique pour comprendre ce que pourrait être l’énergie de demain. Pour les scientifiques, c’est la concrétisation de concepts de physique complexes autant qu’un outil pour appréhender les résultats de leurs calculs.
Une précision jusqu’à l’usure
On se trouve dans l’univers du gaming de première qualité. Le panorama de 4 mètres de haut et 10 mètres de diamètre reproduit avec une précision de détails hallucinante l’intérieur du tokamak à configuration variable (TCV), une infrastructure experimentale unique au monde, abrité par l’EPFL depuis plus de 30 ans. «À l’aide d’un robot, nous avons scanné avec une très haute précision l’intérieur du TCV pour avoir un modèle 3D qui reproduit jusqu’aux textures de l’objet réel, explique Samy Mannane, informaticien au EM+. Ainsi, on a capturé par exemple l’usure des tuiles de graphite, éprouvées par les très hautes températures lors des expériences, qui tapissent l’intérieur.»
L’équipe du SPC a en outre fourni les équations de physique qui permettent de calculer le déplacement des particules à chaque instant. Le EM+ a ensuite implémenté ces données dans le système de visualisation. Mais le plus gros défi est que tous les calculs se font en temps réel. «Chaque image est issue d’un calcul pour chacune des milliers de particules en mouvement et ce 60 fois par seconde pour chaque œil», résume Samy Mannane. Pour ce faire, le laboratoire a acquis cinq machines, chacune dotée de 2 GPU qui alimentent les 5 projecteurs 4k du panorama. «Les avancées technologiques en infographie nous permettent de faire cela aujourd’hui. Il y a 5 ans, ça aurait été impossible», précise Sarah Kenderdine, professeure et directrice du EM+.
Le résultat est d’un réalisme bluffant. On y voit l’injecteur qui apporte les particules dans le tokamak, les tuiles de graphite qui peuvent supporter des températures de plus de 100 millions de degrés. L’échelle est surprenante: la présence d’une personne fictive donne la dimension du tokamak, environ deux fois la taille humaine. Mais lorsque les particules virevoltent dans leur cage magnétique, on se sent toute petite. Elles se poursuivent, volent en essaim, vrillent. En rouge les électrons, en vert les protons, en bleu le champ magnétique. On peut jouer avec tous les paramètres, choisir ce que l’on voit, sous quel angle, le rendu est impeccable.
«En astrophysique, la visualisation est assez avancée, notamment grâce aux planétariums, remarque Paolo Ricci, directeur du SPC de l’EPFL. Mais dans la fusion nous venons juste de commencer ce type d’activités, et cela grâce à la collaboration avec EM+.» L’excellence du SPC vaut à l’EPFL de contribuer au projet international ITER et être un des partenaires clés d’EUROFusion, le consortium européen pour le développement de l’énergie de fusion. C’est dans ce contexte que l’École a été choisie pour abriter un de ses cinq Hubs de calcul à haute performance (Advanced Computing Hub), fournissant aux chercheurs et chercheuses du programme européen cet outil de visualisation unique.
Un pont entre les arts
Pour Sarah Kenderdine, le défi était «d’extraire la nature tangible d’une telle masse de données pour en obtenir un résultat exact, cohérent, réel – même s’il est virtuel. Non seulement il est spectaculaire, particulièrement beau, mais la communauté dispose d’un outil utilisable qui ouvre le champ des possibles.»
«La physique derrière cette visualisation est très compliquée, précise Paolo Ricci. Il y a des particules aux comportements différents, des champs magnétiques, des ondes pour chauffer le plasma, l’injection de particules de l’extérieur, des gaz… il est très difficile de les démêler, même pour un scientifique. Cette visualisation est un pont entre les résultats standard des codes de simulation, qui fournissent basiquement des tableaux de chiffres, et les outils de visualisation en temps réels utilisés par Sarah Kenderdine rappelant l’univers du jeu vidéo.»
Outre le SPC et EM+, trois entités de l’EPFL participent à l’Advanced Computing Hub: le Swiss Data Science Center, l’Institut de mathématiques et SCITAS (informatique scientifique et support applicatif).
Paolo Ricci, nouveau directeur du Swiss Plasma Center
Depuis le 1er juin 2024, Paolo Ricci a pris la relève d’Ambrogio Fasoli en tant que directeur du Swiss Plasma Center (SPC). Lauréat de plusieurs prix pour l’excellence de son enseignement, Paolo Ricci est également professeur de physique à l’EPFL et occupe la chaire de théorie au SPC. Avec une carrière de dix-huit ans au sein de cette institution, il dirige désormais l’un des laboratoires de recherche en physique des plasmas les plus prestigieux d’Europe.