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Reportage Pour leur deuxième jour de mobilisation, les opposants aux retenues d’eau espéraient approcher le port de la Pallice pour dénoncer les grands acteurs de la filière céréalière. Mais ils ne sont pas parvenus à déjouer l’important dispositif policier mis en place autour du site.
Partis sous les coups de 12 h du parc Charruyer, dans le centre-ville de La Rochelle, pour rejoindre le terminal agro-industriel de la Pallice, dont ils avaient fait leur cible du jour, les manifestants anti-bassines n’ont longtemps rencontré aucune résistance sur leur chemin. Mais la situation a fini par basculer après une petite heure de marche quand une dizaine de fourgons de CRS sont soudainement apparus à l’avant et à l’arrière du cortège.
En l’espace de quelques secondes, l’avenue Carnot s’est alors transformée en un champ de bataille, devant le regard d’habitants médusés, observant la scène depuis leurs fenêtres. Jets de projectiles d’un côté, tirs de gaz lacrymogène de l’autre… Un épais brouillard a vite recouvert le quartier. Pris en étau par les forces de l’ordre, la plupart des manifestants ont tenté de fuir en escaladant les murs bordant la route ou en empruntant les ruelles voisines et les coursives des immeubles.
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S’en est suivie pendant de longues minutes une gigantesque course-poursuite dans les rues rochelaises entre des dizaines de CRS et les manifestants les plus radicaux qui, pour ralentir l’avancée des gendarmes, multipliaient les feux de poubelle et montaient des barricades de fortune. Selon un bilan du parquet de La Rochelle, quatre membres de forces de l’ordre ont été blessés et cinq manifestants, tous légèrement. Sept personnes ont été interpellées, principalement pour des faits d’intrusion. Plusieurs commerces ont été dégradés ou pillés.
« Sainte-Soline, on n’oublie pas »
Pour cette seconde manifestation en deux jours, la première organisée en ville, les organisateurs de la mobilisation – dont Les Soulèvements de la Terre et le collectif Bassines non merci (BNM) – avaient décidé de renouer avec leur dispositif habituel en scindant en deux le cortège. Le premier, dit « familial », le plus tranquille, composé de 3 200 personnes selon la police, s’est élancé en longeant la mer derrière les dix tracteurs qui, à l’aube, sont brièvement parvenus à approcher le port de la Palisse en rejoignant la Rochelle depuis le pont de l’île de Ré afin de déjouer les contrôles policiers.
L’autre, le plus radical et « déterminé », composé de centaines de militants habillés en noir, la plupart équipés de casques et le visage dissimulé derrière des masques, a opté pour un itinéraire situé plus au Nord. « Sainte-Soline, on n’oublie pas, on ne pardonne pas ! », entonnait la foule, jeune et galvanisée, avant d’enchaîner les chants antifascistes et hostiles à la police. C’est ce cortège que les forces de l’ordre ont nassé et dispersé.
Quelques minutes avant l’affrontement, dans une avenue quasi déserte, le cortège avançait dans une ambiance déjà électrique avec, à intervalles réguliers, le bruit de verre cassé des abribus et des panneaux publicitaires pris pour cible. La vitrine d’une supérette a également été visée, malgré la molle protection de quelques manifestants. « Il y a des clients à l’intérieur, arrêtez ! », criait l’un d’eux, en vain. A quelques mètres de là, le chantier d’une maison en rénovation se voyait investi par une dizaine d’individus venus y dérober des barres de fer et divers projectiles.
Un peu plus tôt, deux hommes, soupçonnés par un petit groupe de manifestants d’appartenir aux services de renseignement, s’étaient vus pris en chasse, visés par des jets de projectiles et les invectives.
Des vacanciers interloqués
Objectif affiché de la journée, le port de la Pallisse, protégé par un dispositif policier massif, n’a donc pu être atteint, ni par le cortège le plus radical, ni par celui plus familial. Après de longues minutes de confusion, les deux ont fini par se rejoindre vers 15 heures, au bord de la baie de Port Neuf, à trois kilomètres de l’entrée du port. Le tout dans une ambiance nettement plus festive, en dépit de quelques échauffourées qui ont poussé les CRS à activer pendant quelques secondes leur camion lanceur d’eau.
Les organisateurs ont alors appeler à rebrousser chemin vers le parc Charruyer, point de départ de la mobilisation. Que restera-t-il de cette deuxième journée d’actions ? L’image des heurts qui ont émaillé le parcours de l’un des deux cortèges ? Celle des milliers de manifestants parvenus à converger à La Rochelle malgré le quadrillage policier ? « On a réussi à montrer ce qu’on souhaitait, la place de ce port agro-industriel et de ses acteurs céréaliers dans le bassinage de nos territoires », veut croire Julien Le Guet, du collectif « Bassines Non Merci ».
Sur le chemin du retour, en direction du centre-ville, un drôle de chassé-croisé se dessinait entre d’un côté des militants harassés par le soleil, la pression policière et les kilomètres parcourus et, de l’autre, les vacanciers interloqués par leur présence, comme par celles des nombreux camions de CRS. Perchée sur son Segway, une guide emmenant des touristes à la découverte de la ville s’est arrêtée près d’un groupe de manifestants, pour s’enquérir de la situation : « Est-ce que c’est ok si on passe par là ? » La voie était libre.
Qu’est-ce qu’une bassine ?
Largement financées par des fonds publics, les bassines sont de vastes retenues qui visent à stocker des millions de mètres cubes d’eau puisés dans les nappes phréatiques en hiver afin d’irriguer des cultures en été. Leurs partisans en font une condition de la survie des exploitations face à la menace de sécheresses récurrentes en lien avec le réchauffement climatique, quand leurs opposants dénoncent un « accaparement » de la ressource qui risque de fragiliser encore un peu plus les milieux naturels.
Trois chantiers de bassines sont en cours dans les Deux-Sèvres (à Épannes, Priaires et Sainte-Soline) et une seule est pour l’instant en fonctionnement (à Mauzé-sur-le-Mignon). Au total, seize réserves sont prévues par la Coop de l’eau 79 sur le bassin de la Sèvre Niortaise-Marais poitevin (Vienne, Deux-Sèvres et Charente-Maritime). Lors de son discours de clôture du congrès de la FNSEA, en mars dernier, Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture, a promis la construction d’une centaine de mégabassines en France d’ici à la fin de l’année.