Habituellement, le bruit et la fureur ne caractérisent pas particulièrement l’Institut Courant. De la science la plus théorique aux applications de tous ordres, particulièrement informatiques et physiques, les mathématiques s’y déploient dans un calme qui en fait une sorte d’îlot au sein de la turbulente université de New York. Professeur depuis onze ans, tout à la fois mathématicien et spécialiste de mécanique des fluides, Leif Ristroph appréciait ces conditions idéales. « Je ne croyais pas qu’un jour un de mes articles me vaudrait autant de compliments et, surtout, autant de commentaires injurieux. Ni qu’une vidéo YouTube présentant mon travail serait vue par des centaines de milliers de personnes. Je pensais me confronter à un problème ancien et difficile, pas à une matière inflammable. Après tout, ce n’est qu’une histoire de robinets, que nous avons résolue grâce à des astuces de plomberie. »
Peut-être aurait-il dû se douter que publier, en janvier, son article dans Physical Review Letters, la plus prestigieuse revue de physique au monde, promettait un peu d’exposition ; que résoudre un problème inventé il y a un siècle et demi par un grand nom de la science mondiale, popularisé il y a cinquante ans par une icône de la physique et resté sans réponse pendant des décennies, pouvait provoquer un peu de bruit. Mais les scientifiques sont parfois de grands naïfs. A moins qu’ils jouent ce rôle à merveille, sait-on jamais.
Car historique, ce problème l’est assurément. Tous ceux qui s’y sont frottés le font remonter à l’année 1883. Dans son livre La Mécanique, traduit en français en 1904, le physicien et philosophe des sciences allemand Ernst Mach disserte sur une loi fondamentale de la physique : la conservation de la quantité de mouvement, principe qui fait qu’un canon recule lorsqu’il tire un obus. Pour en montrer les difficultés et les paradoxes, Mach présente un dispositif simple : un tourniquet à l’intérieur duquel une petite pompe manuelle peut expulser ou aspirer de l’air. Un magnifique dessin, que tous les scientifiques s’attaquant au problème reproduiront par la suite, accompagne ses explications. Lorsqu’on presse sur la pompe, le dispositif tourne dans le sens opposé de la sortie de l’air. Logique. Mais, si à l’inverse on aspire l’air avec la pompe, le tourniquet reste immobile, écrit-il. L’un des motifs avancés vient du comportement de l’air : expulsé, le gaz jaillit comme un jet directionnel. En revanche, l’air aspiré est recueilli partout autour de l’entrée du tube. « C’est la raison pour laquelle vous pouvez éteindre une bougie en soufflant dessus, pas en aspirant », illustre Kamil Fadel, ancien responsable de la physique au Palais de la découverte, à Paris, qui se passionne pour ce problème passé à la postérité sous le nom de « tourniquet de Feynman ».
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