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Bien sûr, le néophyte doit consentir à un petit effort d’imagination. De l’acropole de Kanesh, le directeur du site, Fikri Kulakoglu, un archéologue de l’université d’Ankara, montre du doigt les bordures des champs alentour, à plusieurs centaines de mètres : ici une haie, là un affleurement de pierres à peine visible, là encore un fossé entre deux parcelles. Le visiteur ne perçoit pas grand-chose, mais l’œil érudit y distingue les limites de la ville, là où s’étendaient les quartiers de la ville basse, tout autour de l’acropole.
A l’âge du bronze, le tissu urbain couvrait probablement jusqu’à 230 hectares, abritant de 25 000 à 35 000 habitants. « Au XXe siècle avant notre ère, Kanesh était sans doute la cité la plus importante d’Asie mineure », dit Fikri Kulakoglu. Le site, d’ailleurs, se trouve en plein cœur de l’Anatolie, à 260 kilomètres au sud-est de l’actuelle Ankara.
En contrebas de la ville haute, une dizaine d’hectares sont fouillés depuis plus d’un demi-siècle : c’est là que se trouvait le karum, le comptoir des marchands assyriens. Le quartier était fait de maisons de brique à un étage et à toit plat, érigées sur des fondations de pierre, construites autour d’une petite cour. Les briques ont disparu, les pierres sont toujours là. Les chercheurs estiment qu’environ 3 000 à 3 500 personnes vivaient dans le secteur, en majorité les marchands et leurs familles, venus de la ville d’Assur, dans la région de l’actuelle Mossoul (Irak). Des « immigrés », dirait-on aujourd’hui.
Les milliers de tablettes à l’écriture cunéiforme découvertes dans leurs maisons permettent d’entrevoir les aspects que pouvait revêtir le « vivre-ensemble », à l’âge du bronze, il y a quarante siècles. Avec à la clé quelques éléments de réponse à une question qui prend ces dernières années une importance particulière en Europe et ailleurs : celle de savoir si la défiance entre communautés, les discriminations, le sentiment de supériorité ou le mépris, voire ce que nous nommons le racisme, ont existé de tout temps. « Ces documents offrent une fenêtre exceptionnelle sur la manière dont les gens de différentes origines ethniques et culturelles vivaient ensemble et interagissaient, explique Fikri Kulakoglu. La plupart du temps, nous fondons nos interprétations sur des inscriptions officielles qui sont aussi des éléments de propagande. Ici, nous avons accès à ce que les gens “normaux” s’écrivaient, à ce qu’ils pensaient vraiment. »
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