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En 2011, l’économiste espagnol Joan Martínez Alier lance une plateforme participative qui recense les conflits environnementaux. Aujourd’hui, elle en enregistre plus de 4 000.
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Comment marier la recherche académique et l’engagement militant ? Cette question qui hante de plus en plus de scientifiques du climat et de l’écologie, l’économiste catalan Joan Martínez Alier y répond à sa manière : en produisant des outils qui permettent à la fois la description et la compréhension des dynamiques socio-environnementales et la mobilisation des individus. Le Global Environmental Justice Atlas (EJAtlas), est l’un de ces outils.
Lancé en 2011, c’est une plateforme interactive en ligne qui recense et cartographie les conflits environnementaux à travers le monde. Initiative de l’économiste écologique et d’un réseau international de chercheurs et de militants, modéré par l’Institut des Sciences et Technologies environnementales de l’université autonome de Barcelone (ICTA-UAB), la base de données compte plus de 4 000 entrées et documente conflits passés et présents en précisant leur nature, les parties prenantes, les revendications des communautés locales, les impacts environnementaux et sociaux, les résultats des confrontations. Des énergies fossiles à la biodiversité, de la gestion de l’eau au nucléaire, de l’extraction minière aux conflits de territoires, dix thématiques sont traitées dans cet atlas.
« Un outil pour visibiliser les luttes et les mettre en lien »
Rien que pour la France, plus de 80 conflits sont référencés : algues vertes, pollution aux PFAS [alkyls poly- et perfluorés], mégabassines, travaux de l’autoroute A69… Dès son lancement, l’association Les Amis de la Terre a contribué à documenter l’entrée sur les gaz de schiste et la « frénésie de fracturation » [« frenzy fracking », qui qualifie la fracturation hydraulique]. Début 2024, l’ONG a travaillé avec l’ICTA pour établir une carte thématique mondiale consacrée à TotalEnergies. « C’est un précieux outil pour visibiliser les luttes et les mettre en lien », souligne Juliette Renaud, coordinatrice aux Amis de la Terre.
Economiste écologique de renommée mondiale, Joan Martínez Alier a consacré sa carrière à décrypter et exposer les liens entre l’économie, l’écologie et les luttes sociales. Son ouvrage le plus célèbre, « l’Ecologisme des pauvres » (éd. Les Petits Matins, 2002), montre que les communautés défavorisées sont souvent les plus affectées par la dégradation de l’environnement et explore leurs luttes cruciales pour la préservation de leurs territoires et de leurs modes de vie.
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Il met en lumière les conflits qui émergent lorsque des projets industriels ou des politiques ignorent les droits, les besoins et les valeurs culturelles des populations locales. Selon une étude menée par des chercheurs de l’ICTA, l’EJAtlas aurait, outre son intérêt documentaire, des vertus contre l’écoanxiété. Utilisé par les étudiants, il inciterait à l’action plutôt qu’à la dépression.
Aujourd’hui âgé de 85 ans, Martínez Alier est un critique entêté de l’économie orthodoxe, à laquelle il oppose les limites biophysiques de la croissance économique et l’importance de préserver les écosystèmes pour le bien-être humain à long terme. Pour lui, les mobilisations écologiques et sociales sont étroitement imbriquées. Qu’il s’agisse des pauvres, des peuples indigènes, des ruraux, des habitants des quartiers, des luttes féministes, syndicales ou pour les droits civiques, les intérêts convergent.