Ce sont des organismes marins aussi minuscules qu’essentiels ; ils sont, sur le plan fonctionnel, assimilables à des plantes. Durant le long jour polaire, ces microalgues prospèrent dans l’océan Arctique, même sous la banquise, tandis qu’au cœur de la nuit polaire, elles se maintiennent « en veille », avec un métabolisme ralenti.
Mais que se passe-t-il lorsque « la nuit immense et noire aux déchirures blondes » chère à Louis Aragon se rompt enfin, après des mois d’obscurité ? Ce n’est qu’au sortir de ces longues ténèbres que ces organismes unicellulaires relancent leur usine à fabriquer de la biomasse : la photosynthèse.
Cette fascinante alchimie opère dans le creuset cellulaire de la quasi-totalité des plantes actuelles. Elle transmue deux ingrédients de base, le gaz carbonique et l’eau, en sucres et en oxygène. La biomasse ainsi produite est à la base de toute la chaîne alimentaire – et donc, de toute forme de vie. Chose étonnante, c’est une cellule bactérienne qui, il y a environ 2,5 milliards d’années, hérita d’abord de la boîte à outils biochimique de ce processus, sans doute ciselée bien plus tôt. Cette boîte a ensuite été dérobée par des cellules végétales primitives, il y aurait 900 millions à 1,2 milliard d’années.
Retour au monde contemporain, sous les latitudes du Grand Nord. De quel éclairement minimal ces algues unicellulaires ont-elles besoin, s’interrogeaient les chercheurs, pour rallumer la photosynthèse ? Très peu de lumière suffit, ont-ils répondu le 4 septembre, dans la revue Nature Communications.
Artillerie lourde de la recherche
Comparons cette infime dose de photons à la lumière exploitée par les plantes terrestres lors d’une journée d’exposition classique au soleil. Elle équivaut alors à « une goutte d’eau, au lieu de trois litres par jour », estime Niels Fuchs, de l’université de Hambourg, coauteur de l’étude.
Cette capacité du phytoplancton arctique à exploiter un iota de lumière, pour relancer sa croissance, est d’autant plus fascinante que la photosynthèse a lieu sous la banquise. Or, ce manteau de glace de mer, lui-même tapissé de neige, est si épais (un à trois mètres environ) qu’il ne laisse passer qu’un éclairement très parcimonieux. « La glace est assez transparente, mais la neige bloque presque toute la lumière solaire », précise le chercheur Thomas Lacour, spécialiste des microalgues à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer de Nantes.
Pour révéler l’aptitude de ces créatures microscopiques à tirer parti d’une dose aussi ténue de lumière, il aura fallu mobiliser l’artillerie lourde de la recherche. Soit une des plus ambitieuses campagnes d’exploration polaire, l’expédition Mosaic, consacrée à l’étude du climat et de l’écosystème arctiques et regroupant plus de quatre-vingts institutions de vingt pays.
Il vous reste 45.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.