« On a un faisceau d’arguments pour dire que prendre des inhibiteurs de la pompe à protons avec un certain nombre d’anticancéreux, c’est un problème, puisqu’on va diminuer nettement l’efficacité de ces derniers », pose Jean-Luc Raoul, oncologue digestif à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique). Avec Philip Hansten, professeur de pharmacologie à l’université de Washington, il a publié en juillet 2024 une étude bibliographique dans la revue Cancer Treatment Reviews. Après avoir étudié plus de cent cinquante articles scientifiques, et en avoir retenu cent huit, les auteurs alertent sur cette interaction médicamenteuse qui peut avoir des effets sur la survie des patients.
Les anticancéreux concernés sont d’une part les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK), des thérapies ciblées utilisées pour traiter des cancers du poumon ou des sarcomes, par exemple, et d’autre part les inhibiteurs de points de contrôle, utilisés en immunothérapie.
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), comme l’oméprazole ou le lansoprazole, permettent de limiter l’acidité gastrique. Ils sont indiqués pour des ulcères de l’estomac ou du duodénum, des œsophagites ou un reflux gastro-œsophagien. Ils sont souvent prescrits lors d’un traitement aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), afin de limiter leurs effets indésirables.
« Une association délétère »
Les IPP, dont certains sont accessibles sans ordonnance, sont massivement consommés en France. D’après une étude conduite en 2015, environ 30 % de la population en avait pris dans l’année, et près de la moitié des plus de 65 ans. « De très nombreux patients sont traités de manière chronique, souvent en dehors des indications de l’autorisation de mise sur le marché, et parfois pendant plusieurs années », observe Dominique Deplanque, professeur de pharmacologie au CHU de Lille.
« Contrairement à ce qu’on peut penser, ce ne sont pas des médicaments anodins », insiste-t-il. « Au sein du large sujet des interactions médicamenteuses, les IPP sont un sujet particulier, parce que l’impact sur l’efficacité des traitements anticancéreux peut être significatif », appuie Jean-Yves Blay, professeur de cancérologie médicale au Centre Léon-Bérard, à Lyon, et président du réseau hospitalier Unicancer, qui a participé à l’un des articles étudiés par Jean-Luc Raoul.
En février 2024, des chercheurs français ont publié dans la revue Cancer Treatment and Research Communications une étude qui conclut également à une « association délétère » entre IPP et ITK. Ils se sont basés sur les données des remboursements de l’Assurance-maladie entre 2011 et 2021. Sur plus de trente-quatre mille patients traités par un ITK pour un cancer du poumon dit « non à petites cellules », ils ont observé un risque de mortalité augmenté si le patient prenait, en parallèle, un IPP pendant au moins 20 % de la durée de son traitement contre le cancer. « Et plus le patient était exposé longtemps à l’interaction IPP-ITK pendant son traitement anticancéreux par ITK, plus il avait un risque de décès élevé », précise Constance Bordet, docteure en pharmacie à l’université de Toulouse, et première auteure de l’étude. Les ITK étudiés étaient l’erlotinib, le géfitinib, l’afatinib et l’osimertinib.
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