Bien que très utiles au sein des écosystèmes, les moustiques ont tendance à gâcher la vie des humains. Une équipe du CNRS vient même de calculer à quel point ces diptères coûtent cher à la société, principalement en raison des maladies qu’ils peuvent transmettre.
Qu’est ce qui vole, est noir et blanc, et gâche nos soirées d’été en se délectant de notre sang ? Le moustique tigre, répondrez-vous. En effet, Aedes albopictus, de son nom scientifique, en binôme avec son proche parent Aedes aegypti, arborent tous deux une pigmentation noire et blanche distinctive. Mais là n’est pas leur seul point commun. Tous deux sont également des espèces invasives. Plus encore, ces moustiques sont des vecteurs spécifiques de maladies tristement connues telles que la dengue, le Zika ou encore le chikungunya. Une combinaison de facteurs qui a particulièrement intéressé des scientifiques du CNRS qui se sont fendus d’une publication attestant, chiffres à l’appui, de l’impact de ces deux nuisibles sur l’économie mondiale.
Il existe plus de 3 500 espèces de moustiques dans le monde et qu’on se le dise, l’écrasante majorité n’est pas du tout attirée par les humains. Et bien que l’on pense volontiers le contraire, ils jouent des rôles essentiels au sein de leurs écosystèmes respectifs. « D’une part, ils servent de nourriture aux premiers maillons des chaînes alimentaires, en l’occurrence les insectivores. Que ce soit au stade larvaire, où ils sont dévorés par de nombreux invertébrés aquatiques ou de petits poissons, ou au stade adulte, où de nombreux animaux s’en délectent », explique Frédéric Simard, entomologiste, directeur du laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (Mivegec), à Montpellier, et cosignataire de l’étude parue dans la revue Science of The Total Environment. De plus, dans certains contextes particuliers, les moustiques, mâles comme femelles, assurent un rôle de pollinisateur.
« Par ailleurs, au stade larvaire, les moustiques dégradent la matière organique dans l’eau et contribuent ainsi au cycle de l’azote. Sans ce premier niveau de dégradation, les bactéries ne peuvent pas fonctionner ce qui a pour conséquence une eutrophisation des milieux, une pourriture des flaques d’eau en somme », révèle Frédéric Simard. Et surtout, les moustiques sont des vecteurs d’agents infectieux qui provoquent des maladies chez de nombreux vertébrés. Ils contribuent ainsi à la régulation des écosystèmes, notamment en transmettant des maladies aux prédateurs de haut rang, l’humain en particulier. L’ensemble des services rendus par les moustiques est difficilement chiffrable, au contraire des dommages directs et indirects causés par Aedes albopictus et Aedes aegypti, qui eux, côtoieraient les 100 milliards de dollars sur quarante ans.
Vecteurs non invités
« On s’est intéressé à ces deux espèces d’abord parce qu’on étudiait les espèces invasives et il se trouve qu’A. aegypti et albopictus sont deux espèces invasives de moustiques, raconte l’entomologiste. A. aegypti, lui, vient d’Afrique et a été disséminé par les hommes notamment à l’époque du commerce triangulaire. C’est un moustique qui ne s’implante pas facilement dans les zones tempérées dans la mesure où il est incapable de se mettre en diapauseFermerArrêt temporaire de l’activité ou du développement chez les insectes, en hiver ou à la saison sèche, ou en cas de carence alimentaire. et ne survit pas à l’hiver. À la différence de A. albopictus qui lui vient d’Asie, et dont les œufs survivent d’une saison à l’autre. » La radiation de ce dernier a commencé dans les années 1980 et est en particulier liée au commerce de pneus, un des gîtes favoris des moustiques, de l’Asie vers les États-Unis.
Intéressés d’abord par les coûts économiques engendrés par les espèces invasives, les scientifiques se sont rapidement rendus compte que ces deux espèces de moustiques « sortaient en tête de tous les coûts rapportés, tous organismes confondus ».
Les scientifiques ont réussi à estimer, sur la période allant de 1975 à 2020, que Aedes albopictus et Aedes aegypti étaient à eux seuls responsables de plus de 95 milliards de dollars de dépenses à l’échelle mondiale.
En rapportant stricto sensu les données disponibles dans la littérature scientifique et en faisant un gros travail de dédoublonnage, les scientifiques ont réussi à estimer, sur la période allant de 1975 à 2020, que ces deux moustiques étaient responsables de plus de 95 milliards de dollars de dépenses à l’échelle mondiale. « Ce chiffre représente la somme des dépenses effectivement rapportées sur la période. C’est un minimum, sachant que beaucoup de pays ne publient pas de statistiques et que tous les types de coûts ne sont pas documentés de manière exhaustive partout », précise le chercheur.
En réalité, les moustiques ici ne sont que les vecteurs, sortes d’avions-cargos funestes, des virus responsables de Zika, du chikungunya et de la dengue, trois pathologies qui depuis plusieurs décennies font des ravages sous toutes les latitudes.
Triptyque mortel et incapacitant
Les coûts liés à ces trois maladies dépendent fortement des symptômes qu’elles déclenchent. « S’agissant de la dengue, la plupart du temps, les infections sont asymptomatiques. Dans 10 à 20 % des cas, la maladie nécessite une prise en charge qui peut vite être assez lourde. Soit cette prise en charge est faite et donc engendre des coûts, soit elle ne l’est pas et les personnes touchées décèdent, ce qui quelque part limite les coûts », ironise tristement Frédéric Simard. Dans le cas du chikungunya, les impacts sur les individus sont différents. Les symptômes sont la plupart du temps des paralysies qui engendrent des séquelles sur le long terme : « On parle ici de plusieurs années durant lesquelles les gens sont en incapacité partielle ou totale », souligne le chercheur. Ici, les coûts sont étalés sur de plus longues périodes de temps et sont essentiellement supportés soit par les ménages soit par les employeurs, en termes d’absentéisme par exemple.
Pour Zika, c’est encore autre chose. « C’est la pathologie qui coûte le plus cher. Non seulement Zika est dangereux pour la personne infectée, mais il l’est d’autant plus si cette personne est une femme enceinte. Il y a en effet un fort risque que l’enfant naisse avec une microcéphalie. Une pathologie grave, nécessitant une prise en charge lourde pendant toute la vie de l’individu, soit 30 à 40 ans », livre l’entomologiste.
Bien que la somme des coûts liés à l’activité des deux espèces de moustiques ne semble pas si énorme à l’échelle globale, il faut garder en tête que l’étude ne porte que sur deux espèces. Si l’ensemble des coûts réels était calculé, nul doute que les 95 milliards de dollars seraient largement dépassés. De plus, la tendance actuelle est à l’augmentation et ce de manière exponentielle. « On n’a pas de signal qui nous dirait que l’on arrive à un plafond, explique Frédéric Simard. Ça augmente parce que les coûts ne sont pas correctement rapportés partout et également pour une raison biologique : il y a de plus en plus de moustiques et par conséquent, de plus en plus de possibilités de transmission de virus. »
En effet, à l’heure de la mondialisation débridée, les moustiques empruntent les mêmes voix de circulation que les humains et réussissent à se déplacer aussi vite que nous. Il en va de même pour les virus qui se déplacent avec les individus. « Aujourd’hui les humains sont devenus de super propagateurs. Les gens infectés par la dengue, par exemple, sont porteurs du virus pendant une dizaine de jours. Pendant ce laps de temps, si un moustique Aedes les pique, il s’infecte et peut ainsi retransmettre le virus. Chaque année des milliers de cas de dengue sont importés dans l’Hexagone et, maintenant, chaque année, on observe des épisodes de transmission locale (autochtone) de la dengue. Ces maladies désormais à déclaration obligatoire requièrent la mise en place d’un protocole de surveillance (dépistage viral, interventions de lutte antivectorielle) qui représente autant de coûts supplémentaires pour la société », expose le chercheur.
Mieux prévenir pour moins subir
« La majeure partie des coûts rapportés dans notre étude couvrent des pertes et dommages directement liés aux maladies transmises par les Aedes, tels que la prise en charge des malades. Sur toute la période, moins de 10 % des dépenses sont investies dans la prévention, qui inclut la recherche et la mise en œuvre des stratégies de lutte contre les moustiques » explique Frédéric Simard.
La majeure partie des coûts rapportés dans l’étude couvrent des pertes et dommages directement liés aux maladies transmises par les Aedes, tels que la prise en charge des malades. Sur toute la période, moins de 10 % des dépenses sont investies dans la prévention.
Depuis 2019, un décret fixe la responsabilité de la gestion du problème « moustique tigre » dans l’Hexagone aux Agences régionales de santé. La politique actuelle s’articule autour de la mobilisation sociale pour prévenir l’installation et la pullulation des moustiques, et l’utilisation d’insecticides uniquement en cas de suspicion de circulation virale : « Les opérateurs des ARS pulvérisent l’insecticide dans un rayon de 150 mètres autour du lieu de résidence de la personne ayant contracté l’une des trois maladies à déclaration obligatoire », précise le chercheur.L’objectif, ici, est bien de se débarrasser des moustiques infectés pour couper tout cycle de transmission virale, mais en réalité très peu de temps après, les moustiques sont déjà de retour.
Des vaccins prometteurs sont en cours de développement et de nouvelles approches pour un contrôle durable des moustiques vecteurs font peu à peu leurs preuves sur le terrain. La dissémination de moustiques mâles stériles ou encore de moustiques infectés par des communautés particulières de bactéries limitant leur capacité à transmettre les virus, le développement de moustiques modifiés génétiquement ou le recours au piégeage massif font partie des techniques les plus prometteuses.
Pour Frédéric Simard, la solution doit être plurielle : « Il nous faut impérativement développer une boîte à outils constituée d’approches différentes et complémentaires qui pourront être appliquées, ou non, en fonction du contexte entomologique, épidémiologique et socio-économique du territoire et des populations à protéger. » Il est donc nécessaire de prendre à bras le corps cette problématique pour aboutir à la fois à des économies réelles de capitaux, mais aussi de vies humaines. ♦